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Qu’est devenu le projet de francisation des entreprises en 2016?

Par Lola Le Brasseur, directrice du Service de la francisation de la FTQ de 1991 à 2015, Travailler en français, printemps 2016, page 6

Assurément une des lois les plus importantes adoptée en 1977 par le gouvernement de René Lévesque, la Charte de la langue française, communément appelée loi 101, va fêter ses quarante ans dans un peu plus d’un an. En plus de consacrer le français comme langue officielle du Québec, la loi imposait des mesures importantes pour forcer les entreprises à fournir des outils de travail en français, pour obliger des enfants à fréquenter l’école française et pour amener les commerces à afficher en français. La majorité francophone avait enfin le sentiment d’être chez elle au Québec et d’avoir en main l’outil pour que le français occupe toutes les sphères de l’activité de la société.

En matière de langue du travail, la Charte consacre une vingtaine d’articles au processus de francisation des entreprises, articles qui n’ont à peu près pas subi de modifications depuis 1977. Y sont précisées les exigences faites aux entreprises ainsi que le rôle et mandat du comité de francisation pour les entreprises qui emploient plus de cent personnes. Ainsi, les travailleurs et travailleuses, par le biais du comité de francisation, qu’ils soient syndiqués ou non, peuvent inter venir directement sur les politiques patronales en ce qui concerne le processus de francisation.

Tout en reconnaissant les avancées constatées, quarante ans d’application de la loi 101 n’ont pas encore converti toutes les entreprises au respect des obligations de francisation. Pas plus que quarante ans d’application de la loi 101 n’ont encore réussi à établir la place prépondérante que les travailleurs et travailleuses syndiqués devraient occuper et toute l’influence déterminante qu’ils pourraient exercer dans le parcours de la francisation. Pourtant, dans d’autres dossiers, les syndiqués ont souvent démontré leurs aptitudes à intervenir lorsqu’il s’agit de l’intérêt de l’ensemble de leurs membres et celui de la collectivité.

Le prochain défi?

Pourquoi, dans certains cas, hélas trop nombreux, est-il si difficile d’enrôler les travailleurs et travailleuses pour qu’ils s’approprient totalement le projet de francisation de leur entreprise? Serait-ce que le dossier linguistique fait peur? Le manque flagrant d’information et de formation laisse-t-il croire aux travailleurs et travailleuses qu’ils devraient être des spécialistes de la langue française pour siéger au comité de francisation? Dans le monde syndical, nous savons que la formation offerte aux membres des comités de francisation est insuffisante.

Actuellement, seules les grandes centrales syndicales (CSN, FTQ) offrent des formations aux membres des comités. Que dire de l’Office québécois de la langue française qui pourtant devrait s’imposer comme un coordonnateur toujours à l’affût des besoins des parties? Ses maigres ressources humaines et financières ne lui permettent pas de se rapprocher des membres des comités de francisation pour les former et pour les renseigner afin qu’ils exercent leur mandat en toute quiétude. Le projet de francisation des entreprises, faute de ressources, est-il en train de perdre de vue son objectif premier, c’est-à-dire la généralisation du français à tous les niveaux de l’entreprise?

Face à ce désintéressement, plus généralisé qu’on le croirait à prime abord, il y a aussi lieu de se demander si, au chapitre de la francisation des entreprises, la loi répond encore à leurs besoins. Trouve-ton dans la Charte un appui assez solide à un nécessaire partenariat qu’il faut pour assurer une francisation généralisée et durable? Nous ne le croyons pas. (Il suffit de se rappeler une certaine disposition du défunt projet de loi 14 qui souhaitait substituer au comité de francisation un autre mécanisme de consultation et de participation de son personnel.) Bien fragile est le statut des travailleurs et travailleuses au sein des comités de francisation.

Le visage des lieux de travail a bien changé en quarante ans : présence massive des travailleurs et travailleuses immigrants et parfois leur difficile intégration linguistique; nouvelles technologies, faibles exigences de la Charte à l’endroit des entreprises de moins de cent personnes, etc... À cela s’ajoute le pouvoir économique et politique de plus en plus limité de l’Office.

Pour que continue de vivre le projet de francisation des entreprises dans le cadre de l’esprit de la Charte, il nous faut continuer à interpeller nos législateurs et ne pas avoir peur d’agir en tant que véritable partenaire.

Dans ce continent où nous baignons dans « l’anglicitude » nous n’avons pas d’autres choix que celui de s’imposer pour protéger notre langue.

 

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