Historique

Québec

La Charte de la langue française fut le résultat de l’inquiétude des Québécois et des Québécoises quant à leur pérennité comme communauté de langue française et quant à leur capacité de durer linguistiquement et culturellement. La Charte de la langue française fut aussi le résultat d’une prise de conscience à l’effet que les francophones, même bilingues, dans ce Québec où ils étaient majoritaires, étaient au bas de l’échelle sociale; les anglophones, même unilingues, étant dotés de meilleurs revenus. La Charte de la langue française fut enfin le résultat de la lutte des francophones qui ne pouvaient travailler dans leur langue.

La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) a toujours eu un rapport étroit avec la Charte. La centrale l’avait réclamée avec énergie et, par la suite, n’a jamais manqué d’intervenir dans les nombreux débats dont elle fait encore l’objet. Les dispositions de la Charte concernant le travail et les entreprises reprennent d’ailleurs de nombreuses revendications formulées par la FTQ.

La Charte de la langue française a ainsi permis de compléter l’opération de modernisation de l’appareil d’État et du système d’enseignement intervenu dans les années soixante. La Charte de la langue française a été l’indispensable parachèvement de ce ressaisissement collectif. Elle a rendu aux Québécois et aux Québécoises le droit de parler en français, le droit de travailler en français, le droit d’exister en français dans la sphère publique (l’affichage, les magasins) et a inauguré des mesures assurant l’intégration des personnes immigrantes à la majorité francophone. La protection du français comme valeur identitaire est solidement ancrée dans la mission de la FTQ. En 1988, après des années de soutien à l’effort de francisation des milieux de travail, surtout orienté vers le service direct à ses membres, la FTQ décida de donner une double orientation à son action en proposant à ses syndicats une approche sectorielle thématique.

Tout en maintenant une approche individuelle pour chaque milieu de travail, l’approche sectorielle pourrait servir à l’établissement d’une table de concertation entre les divers comités de francisation d’un secteur d’activités économique. Cette nouvelle dynamique offrait l’avantage de favoriser la libre circulation de l’information entre les travailleurs et travailleuses.

Dans le choix des secteurs à privilégier, celui de l’aéronautique et de l’aérospatiale s’est rapidement imposé comme un secteur de choix pour de multiples raisons : une faible francisation des entreprises du secteur, une forte présence de travailleurs et travailleuses d’autres origines linguistiques, la présence majoritaire de syndicats affiliés à la FTQ et la volonté des membres des comités de francisation.

La FTQ se fit donc le rassembleur des énergies en francisation de trois syndicats représentant les travailleurs et les travailleuses d’une dizaine d’entreprises. Les participants et participantes sont des membres syndicaux des comités de francisation et des membres des comités exécutifs locaux du Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-CANADA), du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP) et de l’Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale (AIMTA). Les entreprises visées sont Air Canada, CMC Électronique, Ultra Électronique, L-3 Mas Canada, CAE, Lucas aérospatiale, Pratt & Whitney, Robert Mitchell inc., Rolls-Royce et MDA.

C’est dans ce cadre qu’à partir de décembre 1991, les conseillers et conseillères de L’OQLF, responsables des dossiers de francisation dans les diverses entreprises du secteur, prirent part aux travaux du regroupement syndical. Depuis les collaborations et les actions ont toujours été au cœur des travaux du comité qui soutient un rythme de quatre rencontres par année.

En 1998, une délégation composée de représentants des travailleurs et de l’OQLF effectuait une mission syndicale à Toulouse et à Bordeaux, en France, avec l’objectif de rencontrer des travailleurs et des travailleuses syndiqués afin d’évaluer la place du français dans l’industrie aérospatiale française par rapport à celle qui lui est accordée au Québec.

À ce moment-là, les travailleuses et les travailleurs français ne se sentaient pas en situation de vulnérabilité linguistique, mais reconnaissaient, avec leurs collègues québécois, qu’il y a lieu de s’en préoccuper et de soulever la question auprès de leurs syndicats et de leurs employeurs au sein des comités d’entreprises. Un autre objectif de la mission consistait à établir des relations de collaboration pour favoriser l’augmentation de l’utilisation du français dans les milieux de travail québécois.

En 2007, la FTQ, à sa grande surprise, reçoit une invitation de la part de la Confédération générale du travail (CGT) de Paris à assister à une rencontre sur le plurilinguisme dans les milieux de travail.

En 2009, grâce au Programme de soutien financier du plan d’action gouvernemental (PAG) coordonné par l’OQLF, la FTQ décide de créer un portail dédié à la promotion du français dans l’espace francophone internationale et cela en association avec la CGT.

France

La prédominance, voire le monopole d’usage, de la langue anglaise, ou plutôt du « globish » où elle s’abîme souvent elle-même, nous interpellent tous. 

Dans une période récente, de nombreux abus et illégalités ont été dénoncés par les salariés (cf. la revue "Le Peuple", N° 1640 en date du 13 décembre 2006). La presse s’est faite l’écho de ces résistances et luttes syndicales, souvent victorieuses. Plusieurs fois, des employeurs ont été condamnés et contraints par décision de justice à se conformer à la législation en vigueur quant à l’usage de la langue française comme langue de travail sur le territoire. 

Pourtant, nous sommes loin du compte et dominent encore, dans de nombreux groupes et entreprises de dimension européenne et internationale, des pratiques discriminant, dans les pays francophones, la langue française. De la même manière, des entreprises ne respectent pas davantage les langues des pays où elles s’implantent ou avec qui elles commercent. 

Les conséquences? Conditions de sécurité et de travail dangereusement aggravées. Qualité des relations sociales dégradée. Vie des institutions représentatives entravée. Performances commerciales et économiques, contrairement aux discours de certains employeurs, à la vue courte, affaiblies. Constructions de solidarités vraies et solides entre les travailleurs de différents pays rendues plus difficiles. 

L’initiative syndicale que nous organisons se veut un temps d’échanges d’expériences pour démultiplier l’action dans les entreprises, mais en solidarité avec nos amis d’autres pays et d’autres organisations syndicales. Leur présence nous permettra d’élargir notre réflexion et de conjuguer nos efforts pour le respect de toutes les langues et pour que vive la persité des langues et donc des cultures. 

En juin 2007 la confédération CGT organisait les rencontres syndicales, «Français et plurilinguisme à l’entreprise », en présence de Francine Blanche, secrétaire confédérale.

Deux ans ont passé non sans enregistrer des évolutions conséquentes dans ces domaines de l’usage des langues à l’entreprise. D’une part, nous enregistrons une pression accrue de l’anglais tentant de s’imposer comme la langue de référence dans le monde du travail, en partie sous l’effet de la mondialisation et d’une recherche de réduction des coûts. D’autre part, des actions ont été menées par des syndicats dans certaines entreprises, des jugements se sont multipliés, reconnaissant l’obligation faite aux directions de permettre à l’ensemble des salariés un accès à des textes de référence rédigés en français. Jugements qui sont venus alimenter une jurisprudence favorable à l’usage du français. Cette tendance a ensuite conduit nombre de sociétés ou de groupes à prendre le chemin de négociations se concluant par des accords de même nature.

Nous sommes cependant encore loin du compte. Cette dimension de notre activité syndicale reste encore largement ignorée. Nous en connaissons pourtant les conséquences notamment sur les conditions de travail, l’augmentation du stress, la discrimination envers ceux qui maîtrisent le moins les langues étrangères et les conséquences négatives sur la sécurité au travail. Sans oublier que la non-maîtrise par les représentants du personnel de la langue d’usage de l’entreprise peut constituer une entrave sérieuse au droit syndical.

Par ailleurs, l’utilisation d’une langue mal maîtrisée par des travailleurs migrants permanents ou temporaires et l’impasse faite sur la formation à la langue du territoire sur lequel ils sont appelés à travailler ont des répercussions négatives sur le respect de la sécurité, des droits et des intérêts de ces salariés et leur capacité à se défendre.

L’accueil d’une délégation de la Fédération des Travailleurs et des Travailleuses du Québec (FTQ) est pour nous l’occasion de faire le point sur toutes ces évolutions, de nos luttes et de leurs prolongements envisageables. La FTQ avait participé à nos rencontres de 2007 et depuis, nous avons maintenu avec elle, des échanges fructueux, bien que nos activités respectives, dans ce domaine, s’inscrivent dans des réalités très différentes.

Si l’axe de cette initiative portera essentiellement sur la problématique de la défense de la langue française à l’entreprise, nous intégrons celle-ci dans une démarche plus large de défense et d’accès de chaque salarié à des documents d’entreprise rédigés dans la langue du pays, comme de l’usage des langues des participants dans toutes les rencontres internationales. De la même manière, nous sommes également attentifs à faire en sorte que les entreprises respectent ailleurs les langues des pays où elles s’implantent.

Conçu comme une étape sur une des thématiques de cet épais dossier du plurilinguisme, l’initiative syndicale que nous organisons sera un temps de bilan, d’échanges de nos expériences et de nos pratiques sur l’usage du français à l’entreprise. Nous souhaitons ainsi ouvrir des perspectives pour l’avenir en intégrant notamment la proposition de la FTQ de création d’un portail Internet de défense de la langue française en direction des salariés de l’aéronautique de nos deux pays.