AILLEURS DANS LA FRANCOPHONIE
La parole est aux jeunes
Tout le monde en parlait. En 2011, le Conseil jeunesse provincial (CJP) a lancé le film Ceci est notre message. Il braquait les projecteurs sur ce qu’avaient à dire des jeunes Manitobains d’expression française sur leur identité. Il bousculait certaines idées. Il animait les conversations. Il donnait l’impression à plusieurs jeunes que leur réalité était représentée. Et ce, dans toute la francophonie nord-américaine (la Louisiane comprise!). Une décennie plus tard, le nouveau long métrage Cela était notre message revient sur les réflexions portées par le premier film. Accompagné de fiches pédagogiques, il a pour objectif de lancer la discussion auprès des élèves, en classe. Mais pourquoi ça? Offrir une telle occasion de prise de parole aux jeunes, qu’est-ce que ça donne? On a posé ces questions à Derrek Bentley, directeur général du CJP, à Natalie Labossière, directrice pédagogique d’Apprentissage Illimité et conceptrice des fiches pédagogiques, et à Amy Gudmundson, une élève franco-manitobaine.
L’idée de départ
Derrek était au secondaire lorsqu’est sorti le film Ceci est notre message. «J’ai trouvé ça encourageant. Je me suis dit, si ces jeunes-là peuvent [prendre la parole], moi aussi je peux le faire. Cette vidéo m’a donné cette poussée-là», confie-t-il. Plusieurs années après sa création, le CJP, dont il est maintenant le directeur général, s’est interrogé sur l’idée de recréer cette initiative. À la suite d’une discussion avec le réalisateur et l’instigateur du film, Gabriel Tougas, un nouveau projet est né: Cela était notre message. Ce documentaire réunit «des personnes qui avaient participé au premier film et d’autres gens avec un parcours un peu différent [pour discuter de plusieurs enjeux qui touchent leur francophonie]», explique Derrek.
Ce qu’on y trouve
«Le documentaire a été divisé en 9 capsules pratiques à présenter en salle de classe. Et on a créé des ressources pédagogiques [pour que le personnel enseignant puisse] s’en inspirer. Elles seront utiles, on l’espère, un peu partout, dans l’optique de donner la place aux jeunes et de poursuivre ces discussions-là», commente Derrek. Chaque capsule aborde un thème différent, comme la langue ou l’immigration et l’accueil, par exemple. «Le documentaire touche bien entendu à des sujets manitobains, mais concerne aussi tous les milieux francophones minoritaires, et même plus que ça, parce que c’est intéressant aussi pour des Québécois et Québécoises», complète-t-il.
«Cette œuvre met en scène des modèles francophones accessibles. Des jeunes adultes qui savent ce que c’est d’être au secondaire et qui ont fait du chemin. Des jeunes qui ont des questionnements identitaires et qui ont la capacité de mettre en mots leurs préoccupations. Ces personnes deviennent des inspirations pour les élèves. Et pour le personnel enseignant, c’est une ressource incroyable, un film ancré dans la francophonie contemporaine», ajoute Natalie, qui a vu en ce film un grand potentiel pédagogique.
«Je pense que [cette ressource est un déclencheur qui] permet de se poser des questions dont on songe parfois, mais dont on ne discute pas assez souvent. Des questions importantes pour les jeunes, mais aussi pour les communautés francophones en général. Par exemple, comment la langue a-t-elle évolué? Comment la francophonie peut-elle être davantage inclusive?», explique Derrek.
Une ressource pour lancer un dialogue
Alors? La ressource Cela était notre message vous intéresse? Sachez que les fiches pédagogiques sont «vraiment clés en main pour les profs», explique Natalie. Elles vous proposent même un mode de discussion collaboratif, illustré dans le film, qui permet de donner la parole à l’ensemble des élèves, la technique de l’aquarium. Les fiches vous outilleront afin «d’installer un climat de confiance en classe pour aider les élèves à exprimer leur point de vue en sentant qu’il sera respecté», explique-t-elle.
Former les adultes de demain
Mais pourquoi est-ce important de laisser dialoguer les élèves, que ce soit avec la ressource Cela était notre message ou à d’autres occasions? Pourquoi prendre ce temps en classe?
«La discussion, c’est tellement important quand on est jeune parce que ça élargit notre vision du monde», répond Amy, finissante au secondaire. «Ça nous donne une plus grande ouverture. Ça nous aide à mieux comprendre les différentes perspectives qu’il peut y avoir, à apprendre à écouter activement les autres», ajoute-t-elle.
«Ça nous donne des compétences, non seulement en argumentation, mais aussi, ça nous permet d’apprendre à discuter avec les autres sans entrer en conflit. Ce sont des choses qui sont peut-être moins dans le cursus scolaire, mais qui sont essentielles. Ça nous permet de développer nos habiletés interpersonnelles. C’est important pour le monde du travail, mais aussi pour être citoyenne ou citoyen du monde: avoir l’opportunité de dialoguer, d’écouter de nouvelles opinions, de savoir s’exprimer sur des enjeux importants. Ça fait de nous des personnes qui sont [aptes] à partager notre opinion de façon organisée et efficace. Je pense que ce sont des habiletés qui permettent à la jeunesse de s’épanouir», commente Amy. Créer des espaces de discussions dans nos écoles de langue française, où les jeunes se sentent à l’aise de s’exprimer, «ça établit des oratrices et des orateurs qui ont confiance et qui ressentent de la fierté pour la francophonie», poursuit-elle.
C’est également ce que croit Natalie. Parce que favoriser la prise de parole des jeunes à l’école, c’est aussi une façon de jouer un rôle actif pour appuyer les élèves dans leur construction identitaire. «On cherche à aider les jeunes à approfondir la notion d’identité, la place que la langue française occupe dans leur vie. On veut que nos jeunes fassent des liens du cœur avec la culture et la communauté francophones. Eh bien, c’est surtout ça, je pense, donner la parole aux jeunes. C’est leur donner confiance de s’exprimer [en français], approfondir leurs valeurs, leurs actions», pense-t-elle.
Sans compter que la prise de parole est un premier pas vers l’engagement à titre de citoyenne ou de citoyen francophone. «Si les jeunes [se sentent à l’aise] de s’exprimer en classe, ça les encouragera à participer à leur communauté francophone, à venir à des AGA, à des rencontres publiques, à prendre leur place», poursuit Derrek.
Pour des discussions qui portent fruit
Vous vous demandez quelles sont les conditions gagnantes pour favoriser une discussion ouverte, franche et efficace avec les élèves en classe? Vous aimeriez connaître des trucs? Amy suggère quelques bonnes idées.
Selon elle, il est avantageux de «donner la libre parole aux jeunes dans un cadre informel, où les jeunes ne craindront pas de se faire corriger». «Ça favorise la sécurité linguistique», pense-t-elle. «C’est quelque chose de super pertinent [à prendre en compte] dans nos écoles. Quand on a un espace où le français n’est pas corrigé, un espace sans jugement, où on peut juste se jaser entre jeunes, ça aide certainement. C’est tellement important d’avoir, dans nos salles de classe, des espaces de discussions comme ça. Il y a différents moments où l’on cherche différents niveaux de français. Si on peut s’exprimer dans un français familier, les discussions seront tellement plus enrichissantes que si l’on faisait quelque chose de très formel et d’évalué parce qu’il y aurait [sinon] un peu moins de partages, plus de barrières», pense-t-elle.
Amy propose de commencer les discussions en classe par quelques minutes d’échanges sur d’autres sujets avant d’aborder des thématiques plus polémiques. Elle suggère de parler des préférences des élèves sur les artistes francophones, par exemple, «avant qu’on commence à entrer dans les enjeux [dont on souhaite discuter] pour qu’on établisse que c’est correct d’avoir différentes opinions. Je pense que prendre le temps d’établir un espace sécuritaire, c’est essentiel», explique l’élève. De plus, elle propose «d’ajouter éventuellement la perspective d’autres membres de la communauté», comme le fait Cela était notre message. «Ça pousse plus loin les discussions en classe», pense-t-elle.
Enfin, «n’ayez pas peur d’inviter les élèves à animer la discussion. C’est important que les élèves développent leurs habiletés en leadership. Soyez là, pas nécessairement en ajoutant votre perspective, mais simplement en agissant comme modératrice ou modérateur, en vous assurant que tout le monde soit entendu. Je pense que c’est le meilleur rôle qu’une enseignante ou qu’un enseignant puisse avoir. Vous pouvez certainement partager votre perspective après la discussion, mais je pense que c’est important de donner ce temps-là à la jeunesse, ça peut vraiment faciliter les discussions», ajoute Amy.
Donner le micro
Favoriser la prise de parole des jeunes, ça a une grande importance. C’est ce que met notamment en lumière la ressource Cela était notre message. C’est bénéfique pour vos élèves, et ça pourrait l’être aussi pour vous. «La grande majorité du temps, c’est l’enseignante ou l’enseignant qui parle dans la classe. Je pense que les enseignantes et les enseignants ont, oui, des choses à enseigner, mais aussi des choses à apprendre des jeunes», commente Derrek. «Les jeunes d’aujourd’hui ont des choses à dire. C’est important de les écouter. Une des belles façons de le faire, c’est en commençant [par leur donner la parole] dans les salles de classe», conclut-il.