« Le français n’est pas menacé aux Jeux de Sotchi »
« Le français n’est pas menacé aux Jeux de Sotchi »
Date symbolique pour les Jeux de Sotchi. Ce jeudi 10 octobre, le compte-à-rebours affiche J – 120 avant l’ouverture des JO d’hiver 2014. L’occasion de se pencher sur une question parfois épineuse : la place de la langue française pendant l’événement. Les Russes respecteront-ils la charte ? Les réponses d’une experte, Audrey Delacroix, Commissaire pour la langue française dans les Jeux Olympiques au sein de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF).
FrancsJeux : A 3 mois du début de l’événement, le français est-il menacé comme langue officielle aux Jeux de Sotchi ?
Audrey Delacroix : Le français n’est pas menacé comme langue officielle des Jeux de Sotchi. Il sera bien présent, mais à trois mois des Jeux, plusieurs ajustements doivent encore être effectués, ce qui est tout à fait normal dans le processus d’organisation d’un grand événement international. Les Russes sont très fiers d’organiser ces Jeux et savent accueillir. Le Président Vladimir Poutine est personnellement très impliqué dans la préparation de cet événement, la pression qui pèse sur les épaules du Comité d’organisation est énorme. Les organisateurs russes n’ont pas le droit à l’erreur et ils le savent. Pour toutes ces raisons, nous sommes confiants dans leur capacité à organiser leurs Jeux en français, en russe et en anglais.
Quelles actions sont actuellement menées pour assurer la place du français aux Jeux d’hiver de 2014 ?
Nous intervenons à trois niveaux : politique, diplomatique et technique. L’action politique est menée par le Secrétaire Général de la Francophonie, SEM Abdou Diouf, qui a rencontré Jacques Rogge au mois de juin dernier et a fait parvenir plusieurs messages à Dimitry Chernychenko, le président de Sotchi 2014. Il a également confié à Hélène Carrère d’Encausse, Secrétaire Perpétuel de l’Académie Française, le rôle de Grand Témoin de la Francophonie pour les Jeux de Sotchi. Elle sera l’interlocutrice privilégiée des hautes autorités russes sur la préparation de ces Jeux du point de vue de la Francophonie. L’action diplomatique est menée avec l’appui des ambassades francophones accréditées en Russie, avec lesquelles nous avons déjà amorcé des contacts et que nous comptons mobiliser lors de mon prochain déplacement à Moscou, à la fin du mois d’octobre. Elles nous aideront sur place à identifier les sujets méritant d’être discutés avec les organisateurs et à assurer le suivi de nos négociations. Leur implication collective, comme lors des précédents Jeux depuis Pékin, est essentielle pour témoigner de l’implication de l’ensemble de la famille institutionnelle francophone aux côtés du mouvement Olympique francophone et de l’OIF. Enfin, l’action technique et de coopération consiste à accompagner, d’une part, les efforts des organisateurs, en mettant à leur disposition des moyens supplémentaires. Trente jeunes traducteurs et interprètes francophones seront ainsi envoyés à Sotchi pendant les Jeux, financés par l’OIF et les gouvernements français, suisse et québécois. D’autre part, nous alertons le CIO et Sotchi 2014 lorsque des dysfonctionnements nous sont signalés comme l’interdiction d’utiliser la traduction française du toponyme « Sotchi » car seule la marque anglaise « Sochi » a été déposée, ou encore le fait que seules 10% des annonces seront faites en français sur les sites de compétition, la mutualisation des équipes de traduction et d’interprétation en français entre plusieurs sports sur les sites de compétition, le recours en trop faible nombre à des interprètes et traducteurs chevronnés et les risques de non paiement de la main d’œuvre. Ce sont des sujets dont je me suis ouverte auprès du CIO la semaine dernière et que j’évoquerai à Sotchi et Moscou dans les prochaines semaines.
La récente visite effectuée par Hélène Carrère d’Encausse en Russie a-t-elle été positive ?
Les visites en Russie de Madame Carrère d’Encausse sont toujours très attendues et appréciées au plus haut niveau. Son dernier déplacement faisait par ailleurs suite à la publication de son ouvrage sur la famille Romanov qui restitue aux Russes une part non négligeable de leur histoire. Nous travaillons actuellement sur un déplacement en Russie de Madame Carrère d’Encausse avant la fin de cette année, spécifiquement sur le thème des Jeux de Sotchi. Elle a émis le souhait de rencontrer Monsieur Chernychenko, le Président de Sotchi 2014 et de signer avec lui une convention entre l’OIF et Sotchi 2014.
Jacques Rogge vient de quitter la présidence du CIO. Quel a été son héritage pour la francophonie sportive ?
Jacques Rogge a été le gardien du temple, il a permis de garder le cap. Il nous a toujours réservé le meilleur accueil, a systématiquement donné suite aux demandes d’appui que nous lui adressions lorsque nous ne parvenions plus à faire progresser les intérêts des francophones. Il a posé plusieurs gestes symboliques témoignant de sa volonté de considérer la francophonie sportive comme un acteur à part entière. Ce faisant, il nous a aidés à créer les conditions pour donner envie au mouvement Olympique francophone de s’organiser, de se structurer, de promouvoir ses projets et ses intérêts. L’un des plus récents résultats de cet élan commun est la création en 2010 de l’Association francophone des comités nationaux olympiques (AFCNO) avec laquelle l’OIF a d’ailleurs signé un protocole d’accord le 15 septembre dernier à Nice, lors de la 4è Assemblée Générale de l’AFCNO. Au programme : envoi de jeunes volontaires francophones dans des organisations sportives, meilleure collaboration dans le cadre des Jeux de la Francophonie, soutien aux actions du Grand Témoin et promotion de la langue française, amélioration de la préparation des athlètes francophones, égalité des genres… Dans le sillage des signaux positifs envoyés par Jacques Rogge, la francophonie sportive s’organise.
Comment se présente, d’un point de vue francophone, le mandat de Thomas Bach à la tête du CIO ?
Entre continuité et renforcement de l’impulsion donnée par Jacques Rogge. C’est en tout cas ce que nous appelons de nos vœux et nous avons de bonnes raisons d’y croire, car Thomas Bach partage bon nombre de nos valeurs et priorités. Relisez son CV et son programme d’ancien candidat à la présidence du CIO. Il est polyglotte, parle parfaitement français. Or, nous prônons, non pas la toute puissance du français contre les autres langues, mais le multilinguisme. Il a mené campagne sur le thème de l’ « unité dans la diversité ». Or, c’est une devise particulièrement chère à Léopold Sédar Senghor, l’ancien Président du Sénégal et père fondateur de la Francophonie. Thomas Bach veut également tirer profit du caractère exceptionnel des Jeux Olympiques, exploiter tout leur potentiel notamment en renforçant le lien entre sport et culture. A notre niveau, c’est aussi ce que nous ambitionnons de faire avec les Jeux de la Francophonie. J’ajouterais que nous l’avons rencontré à plusieurs reprises, particulièrement à Londres où il était présent sur chacun des événement initiés par la Francophonie et son Grand Témoin, l’ancienne gouverneure générale du Canada, Madame Michaëlle Jean.
Toutes les conditions sont réunies pour passer avec lui un cap supplémentaire dans notre bonne collaboration avec le CIO et le mouvement olympique francophone.