AILLEURS DANS LA FRANCOPHONIE

Nouvelles de décembre 2013 - par MAR le 04/12/2013 - 21:15

Mercredi, 4 Décembre, 2013

Nouvelles de décembre 2013

Le Parisien-Aujourd'hui du 9/12 Do you speak encore français ? (ci-dessous)
La CGT de Carrefour défend la langue française (lien et site du syndicat )
Impératif Français : Des cadeaux de Noël, tout en français ! (lien)
Slate : Et le journalisme sportif vint à la rescousse du passé simple (lien)

Dossier intéressant dans Le Parisien-Aujourd'hui en France du 9 décembre 2013 

Autour du colloque organisé par le CSA le 9 décembre 2013 au Collège de France à Paris "Quel avenir pour la langue française dans les médias audiovisuels ?", le journal populaire Le Parisien-Aujourd'hui en France consacre un dossier intéressant sur la place du français en France : "Do you speak encore français ?"

Do you speak encore français ?

Les anglicismes envahissent notre vie quotidienne. La télévision, la grande distribution, l'industrie multiplient les expressions anglaises au point d'émouvoir les amoureux de la langue française.

L'Édito
Aimons le français

Shakespeare contre Molière, l'anglais menacerait le français. Et, s'il est vrai que le rayonnement d'une langue est la conséquence d'une domination culturelle, économique et politique, il y a vraiment de quoi s'inquiéter. On peut aussi considérer que c'est l'usage au quotidien qui façonne une langue. Qui la renforce suffisamment pour qu'elle soit capable d'absorber des mots étrangers, des mots qui l'enrichiront au lieu de l'appauvrir. La défense de la langue française passe d'abord par la connaissance de son vocabulaire, la maîtrise de la grammaire, le respect de la syntaxe. Connaître le mot juste pour exprimer une idée, un sentiment, une impression, cela s'apprend dès le plus jeune âge, avec ses professeurs et ses parents Vaste chantier ! L'abus d'anglicismes ne trahit en réalité qu'une seule chose : la mauvaise connaissance que nous avons de notre langue. C'est ça, le vrai danger.

Jean-Marie Montali
jmmontatt@teparisien.fr

Ce que dit la loi
Le français est "la langue de l'enseignement, du travail, des échanges et des services publics" selon la loi Toubon relative à l'emploi de la langue française, votée le 4 août 1994. Concrètement, les modes d'emploi, garanties, factures, panneaux publics, contrats de travail doivent être-rédigés en français. Au sein des entreprises, "tout document dont la connaissance est nécessaire au salarié pour l'exécution de son travail" doit être rédigé ou traduit en français. Le texte ne prévoit pas d'obligation pour ce qui est diffusé sur les télévisions ou les radios de droit privé.

Certaines entreprises ont été condamnées peur avoir enfreint cette loi. En 2006. General Electric Médical Systems a écopé d'une amende de 600 000 € pour ne pas avoir traduit les notices de ses appareils. En 2007, Europ Assistance a été contraint par la justice à livrer une version française de ses logiciels de comptabilité. En 2010. Air France a été condamnée devant la cour d'appel de Paris à traduire en langue de Molière quatre documents à destination des pilotes et des mécaniciens. Ces notices techniques n'avaient en effet été communiquées qu'en anglais, d'où quelques problèmes de compréhension.

Tous ces mots anglais qu'on pourrait éviter

Les anglicismes se multiplient dans notre langue. Experts des médias ou syndicalistes, beaucoup s'en émeuvent et proposent des solutions.

Faut-il suivre l'exemple des Québécois ? Réclamer des "chiens chauds" ("hot-dogs"), ou passer des coups de fils depuis nos "téléphones intelligents" ("smartphones") ? Alors que les anglicismes colonisent la langue des affaires et Internet, ou squattent la télévision et la radio, la "résistance" commence à s'organiser en France.

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), constatant la recrudescence des termes anglais à l'antenne, organise aujourd'hui à Paris un colloque ouvert au public* sur "L'avenir de la langue française dans les médias audiovisuels". Des linguistes, mais aussi des responsables de chaînes ou de stations, vont se demander comment mieux manier la langue de Molière sur les ondes et limiter l'usage des termes venus d'outre-manche ou des États-Unis.

■ Promouvoir le français plutôt que de sanctionner "L'idée n'est pas de sanctionner ou de jouer les ronchons qui font la chasse aux anglicismes, mais de dresser un état des lieux et d'aider les chaînes à prendre conscience de leurs obligations en matière de défense et de promotion de la langue française", explique Patrice Gélinet, membre du CSA, président de la mission langue française et francophonie, à l'initiative de ce colloque. L'utilisation préférentielle du français est, en effet, inscrite dans la loi (notamment la "loi Toubon" du 4 août 1994) et même dans la Constitution (l'article 2 : "La langue de la République est le français").

Dans la grande distribution, la révolte gronde aussi. Chez Carrefour, la CGT s'insurge contre l'utilisation "à outrance" de l'anglais dans leurs allées. Une pétition intitulée "Non à l'anglicisation de Carrefour, de la France et de l'Europe" a recueilli plus de 1500 signatures."Nous voulons rappeler que la langue du commerce, c'est la langue du client et qu'en France le client parle français", argumente le syndicat. Celui-ci propose de remplacer "Carrefour Drive" par "Carrefour au volant" ou "Carrefour City" par "Carrefour Cœur de ville"...

Hélène Bry et Bérangère Lepetit
* Au Collège de France, de 9 h 30 à 18 heures.

La grande distribution envahie

"Carrefour Market" ou "Carrefour City", le géant de la distribution affiche des mots anglais dès les intitulés de ses enseignes.

Son slot au poignet, Lionel s'occupe du picking des produits avant de se diriger à l'entrée du drive. Comprenez : sa montre-scanner au poignet, Lionel s'occupe de la collecte des produits avant de se diriger à l'entrée du point retrait pour automobiles. Au Auchan Drive de Cesson (Seine-et-Marne), comme dans tous ces hangars commerciaux qui se multiplient ces dernières années en France, parfois accolés aux hypermarchés et spécialement dédiés aux automobilistes, l'anglais devient une véritable langue de travail. Même dans les grandes surfaces traditionnelles, les termes anglo-saxons sont utilisés de longue date."Parfois, on a l'impression de travailler à Mc Do, ça rentre dans le contexte général, on va tous se mettre à courir et à parler en anglais", tempête Régis Ravat, délégué syndical (CGT) au Carrefour de Nîmes-Sud (Gard), qui bataille avec certains collègues contre "l'anglicisation" et pour la création d'une commission "chargée de veiller à la qualité de l'emploi de la langue française dans l'entreprise".

Chez Carrefour, qu'il s'agisse de l'intitulé des enseignes (Carrefour City, Carrefour Market), du nom des produits (Home pour le petit électro-ménager, Blue Sky pour les premiers prix, Top Bike pour le cyclisme) ou des méthodes de travail (le "cross-merchandising", l'"e-learning"), les salariés baignent au quotidien dans un franglais qui n'est pas du goût de certains salariés.

Cross-mer et street-palette

Récemment, deux nouveaux termes, street-palette et cross-mer ont fait leur entrée au Carrefour de Nîmes."Le street-palette, c'est quand il s'agit de placer les télévisions sur des palettes en bois dans les allées, ça fait ambiance rue", détaille un salarié agacé. Quant au "cross-mer", c'est désormais le terme usité pour l'employé chargé du "cross-merchandising", celui qui place dans les rayons les produits associés (exemple : des piles ad hoc à côté d'un réveil).

Les syndicalistes souhaiteraient voir émerger un label "dit en français" sur le modèle du "Fabriqué en France". Ces arguments n'ont pas laissé insensible la direction de Carrefour. A tel point qu'une "commission chargée de veiller à la qualité de l'emploi de la langue française dans l'entreprise" pourrait être prochainement mise en place en collaboration avec des associations comme l'Apfa (Actions pour promouvoir le français des affaires). La direction confirme que l'idée fait son chemin et qu'elle a reçu une oreille attentive de Georges Plassat, le PDG de Carrefour France, qui met un point d'honneur à organiser ses réunions de travail en français. B.L

"En mettre partout, ça fait ringard"
Erik Orsenna, membre de l'Académie française

Erik Orsenna, éternel amoureux de la langue française, se moque gentiment delà recrudescence des anglicismes dans le français d'aujourd'hui.

Y a-t-il trop d'anglicismes dans le français actuel ?

Erik Orsenna. Oui, notamment à la télévision. Même si, d'une manière générale, j'adore la langue anglaise... Mais mettre des anglicismes partout - qui souvent ne sont même pas les vrais termes anglais - je trouve que cela a un côté extraordinairement ringard. Ça veut faire mode, International, mais en fait, ça fait ringard. Je me souviens qu'à un moment mes enfants disaient sans arrêt "c'est styly" : c'était bien ridicule... Et l'anglicisme le plus bête, c'est de dire "nominé" au lieu de "nommé"". Alors que pour une fois le mot français est plus court ! C'est comme de dire "The Voice" au lieu de "la Voix" : pour mol, ça n'apporte rien !

Comment faire pour remédier à cette manie de l'anglais, ou du franglais ?

La langue française, Il faut la rendre belle, drôle, insolente. Un exemple : j'écoute presque chaque matin la chronique sur la musique d'André Manoukian sur France Inter, à 7 h 24. Cet homme-là parle un français formidable, précis et en même temps imagé, drôle, poétique… Plutôt que de dire interdisons les anglicismes, moi je dis multiplions les Manoukian ! C'est comme lorsque vous écoutez une Chanson de Benjamin Biolay ou Emily Loizeau : vous êtes fier de voir la langue française si bien utilisée.

Mais, au fond, pourquoi utiliser l'anglais plutôt que le français ? En fait, il y a un soupçon qui me vient : quand on utilise sans arrêt des mots anglais, c'est que l'on est pas très fier de son français. C'est pour camoufler ou le vide ou la mauvaise manière. En revanche, Il faut bien avouer que certains mots anglais disent mieux les choses que le mot français Prenez le burn-out : c'est vraiment une expression formidable, qui exprime, en deux petits mots, le fait qu'on est à la fois brûlé et explosé. Prenez l'équivalent français, "syndrome d'épuisement professionnel" : ce n'est vraiment pas bon, comme expression... Propos recueillis par H.B.

La télé accro aux anglicismes

Tu as regardé quoi, hier soir, à l'heure de grande écoute ?" Bon, c'est vrai : il faut reconnaître qu'"en prime time", ça sonne mieux... Est-ce pour cela que la télé française semble complètement accro aux anglicismes ?

La téléréalité ne peut plus s'en passer. Peu de chaînes s'offrent le luxe de mettre en tête de gondole des émissions dans la langue de Molière, face au raz-de-marée des "Secret Story" (TF1), "MasterChef (TF1), "IceShow" (M6) ou "Hollywood Girls" (NRJ12).

L'offensive des "Morning". Sur les radios musicales, les morning font de la concurrence aux bonnes vieilles matinales des généralistes comme RTL, France Inter, Europe 1."Les anglicismes comme Morning ou Morning live pullulent à la télé et à la radio, s'agace Patrice Gélinet, président de la Mission langue française et francophonie au CSA. Le pompon étant de parler de Direct Live, qui est non seulement un anglicisme mais aussi un pléonasme."

"The Voice" : tellement plus chic "In english" Le carton des deux dernières années en France, en termes d'émissions de divertissement, multiplie les "coachs" et les "battles"... Bien sûr, il s'agit d'un format international donc "The Voice" est "The Voice" partout, mais pas au Québec, où l'émission s'appelle..."la Voix". A noter qu'en France le nom complet de l'émission est "The Voice, la plus belle voix".

Les "Before" et les "After". Il y a le "Before" du "Grand Journal" le soir sur Canal +, et l'"After Ice Show" le mercredi soir sur M 6."On observe une espèce de manie de l'anglais à la télé, pour faire chic, qui a un côté ridicule", remarque le linguiste Alain Rey.

Même le service public speaks franglais. L'émission "la Grande Battle", qui revisite la musique classique sur France 2 dans un esprit très service public, a choisi un titre franglais.

Gulli veut lever le pied."Totally Spies", "Monster High", "Power Rangers"... La chaîne Gulli est très anglophile. Mais ses responsables viennent de décider que les programmes auraient soit leur titre, soit un sous-titre, soit une partie du titre en français.

Des Messieurs Langue française veillent au grain. Chaque chaîne possède sa propre convention signée avec le CSA France Télévisions, par exemple, "proscrit les termes étrangers lorsqu'ils possèdent un équivalent en français". La convention de TF1 prévoit que "la société s'efforce d'utiliser le français dans les titres de ses émissions", et qu'"un conseiller à la langue française est désigné par la chaîne". Il s'agit de Jean-Claude Narcy, qui pourtant juge que "le débat sur les anglicismes est un faux débat, un peu dépassé. On ne peut pas échapper à l'anglais, surtout dans la téléréalité". En revanche, il se bat pour que les jeunes journalistes s'expriment dans un "bon français", leur faisant au besoin faire des stages. Côté M 6, Jérôme Bureau, directeur de l'information et conseiller langue française du groupe, estime qu'"il faut lutter contre les anglicismes quand c'est nécessaire, pas quand c'est absurde. Pour Ice Show, on n'allait pas dire Spectacle de glace. En revanche, American Idol, on l'a rebaptisé A la recherche de la nouvelle star".

Les téléspectateurs de plus en plus énervés contre cette tendance. Nicolas Jacobs, médiateur de l'information de France 2, reçoit de plus en plus de courriers de téléspectateurs qui s'insurgent de l'omniprésence de l'anglais à l'antenne."C'est tout juste s'il n'y en a pas qui nous accusent d'être des traîtres, des vendus... et ça, c'est un phénomène nouveau."  Hélène Bry

Ne dites plus best of, mais florilège

Face aux anglicismes, une armée d'érudits de la Commission générale de terminologie et de néologie se creuse les méninges pour trouver, dès qu'un terme anglais fait du "forcing", la parade française. Comme "florilège" pour "best of", "sonal" pour "jingle", ou "mot-dièse" pour "hashtag" (un terme utilisé par les utilisateurs de Twitter)."C'est très difficile de faire accepter un équivalent à un anglicisme", explique Alain Rey, lexicographe, linguiste, conseiller éditorial auprès des Éditions Les Dictionnaires Le Robert, mais aussi membre de la Commission.

■ Trouver une traduction le plus vite possible

"Avant, le français savait naturellement adapter les mots, comme ri-ding coat devenu redingote, explique Alain Rey. Mais, aujourd'hui, on a malheureusement tendance à être bêtement respectueux de la langue d'origine", donc à garder des anglicismes. Or, dès qu'un mot anglais fait irruption dans notre langue, si l'on ne trouve pas tout de suite le bon néologisme français correspondant, c'est fichu... Ainsi, "courriel" est entré in extremis dans le langage courant (et encore...). L'expert enfonce le clou : "Le problème aussi, c'est que les Français sont nuls en langues, alors ils préfèrent garder les mots anglais pour se donner un genre, avoir l'air anglophone et à la mode, comme des gamins qui vont hurler deux phrases d'une chanson en anglais. Il y a là quelque chose de comique et de ridicule."L'érudit signale toutefois que, sur la centaine de nouveaux mots ajoutés cette année au dictionnaire pour lequel il travaille, la moitié des termes viennent du monde anglo-saxon. H. B.

D'autres pays se défendent

La France n'est pas la seule à défendre vaille que vaille son Identité linguistique. En Europe, d'autres pays ont vu émerger ces dernières années des associations visant à défendre leur langue. Surtout quand elle est menacée. En Belgique, un "atelier du vocabulaire" est né à Bruxelles, réunissant des Wallons souhaitant défendre la langue de Molière.

Un réseau des langues latines a aussi vu le jour dans le sud de l'Europe, regroupant des représentants espagnols, portugais et roumains. Mais les champions toutes catégories sont sans doute les Québécois, qui sont devenus experts en l'art de la traduction française des expressions anglaises. Là-bas, un Office québécois de la langue française fait chaque jour de la résistance face aux voisins anglophones, et a même rédigé une charte de la langue française. Prière de ne pas dire "parking" mais "parc-auto" ou "parc d'automobiles". Et, dans le monde de la grande distribution, "au volant" est souvent utilisé en lieu et place de "drive". B.L