AILLEURS DANS LA FRANCOPHONIE
Sommet de la Francophonie de Dakar : vigilance ! - par A. Salon le 17/12/2014 - 09:14
Sommet de la Francophonie de Dakar : vigilance !
Le Sommet a tenu sa 15ème session, les 29 et 30 novembre 2014 à Dakar, en présence des représentants dont trente-trois chefs dÉtat et de Gouvernement - de la quasi-totalité des quelque 80 membres de lOrganisation internationale de la Francophonie, et dobservateurs de pays non membres de lOIF, dont lAlgérie.
Les thèmes officiels femmes et jeunesse - ont été traités avec les recommandations consensuelles de rigueur.
Mais, selon des analystes objectifs, ce Sommet a marqué une évolution inquiétante.
Il laisse entrevoir, non la vraisemblance, mais la possibilité dun effritement, voire dune lente sape par les ennemis de la Francophonie organisée (OIF). En effet :
- La vieille et utile idée dajouter un fort contenu économique et commercial à la Francophonie organisée, surtout culturelle, a été, certes, réaffirmée fortement lors de ce 15ème Sommet, dans la ligne des rapports de Pouria Amirshahi en 2013 et de Jacques Attali en 2014. Mais la volonté réelle des partenaires principaux et les mesures concrètes à prendre ne sont guère présentes. Guère plus quaprès le Sommet de 1997 à Hanoï : la conférence des ministres de léconomie et des finances alors décidée eut bien lieu en avril 1998 à Monaco, sous la présidence du Français Dominique Strauss-Kahn ; mais elle fut "neutralisée" par les pays du Nord.
- La fâcheuse tendance à lélargissement indéfini à de nouveaux membres, de moins en moins francophones, se poursuit. Après le Qatar en 2012 ont été, en novembre 2014, admis en qualité dobservateurs le Mexique, le Costa Rica, et le Kossovo, peu francophones, et auxquels il nest même plus demandé sérieusement de renforcer la langue française dans lenseignement, les media et même les relations diplomatiques internationales, et à lONU. Si laffluence de candidats à lentrée peut donner aux mal informés limpression dune bonne santé de lOrganisation, les crédits étant, eux, en baisse, cette simple apparence cache un réel danger de dilution, et daffadissement.
- La succession de M. Abdou Diouf, difficile compte tenu de la personnalité de cet ancien Président de la République du Sénégal qui a su, en douze ans (trois mandats de 4 ans) renforcer lOIF sur la scène politique internationale, et contribuer, en haut sage africain très respecté, à la résolution de conflits en Afrique, na pu être assurée de manière satisfaisante. Selon une sorte de pacte conclu en 1997 au Sommet de Hanoï la succession de M. Boutros Boutros Ghali, ancien Secrétaire général de lONU, le poste de Secrétaire général de lOIF, alors créé, devait aller à lAfrique francophone, dont les pays constituent le groupe continental le plus nombreux au sein de lOrganisation. Or, cest une candidate du Nord, une Canadienne, qui a été élue, dans des conditions qui restent contestées.
En effet, faute de candidatures crédibles danciens chefs dÉtat africains (ou autres, par exemple : libanais), susceptibles de recueillir une majorité, le Canada fédéral a pu, au terme dune longue campagne très déterminée et active, voire acharnée jusquau dernier moment, obtenir lélection de son ancien gouverneur général, Mme Michaëlle Jean, représentante à Ottawa de la reine du Royaume Uni et du Commonwealth.
Mme Jean est une très avenante mulâtresse haïtienne de moins de 57 ans, immigrée depuis longtemps au Québec. Journaliste connue à Radio Canada, elle épousa le cinéaste français Jean-Pierre Lafont. Elle eut, avec son mari, une présence active dans les milieux indépendantistes québécois. Elle accéda aussi à la nationalité française avant de labandonner afin de pouvoir être nommée gouverneur du Canada par les habiles gouvernements dOttawa et de Londres. Elle na exercé aucune haute responsabilité politique vraiment exécutive, celle de gouverneur étant là-bas essentiellement honorifique et protocolaire. Elle ne possède pas une réelle connaissance de lAfrique, continent principal pour lavenir de la Francophonie. Beaucoup dAfricains sont marris de son succès, pour navoir pu sentendre sur lun des leurs. Ni, du reste, sur le Mauricien Jean-Claude de lEstrac, peut-être le meilleur de tous, plusieurs fois ministre dans son pays, Secrétaire général de la Commission de lOcéan indien qui est en majorité francophone. Il est vrai quil nest pas dAfrique continentale, ni ancien chef dÉtat. Mais il avait présenté partout un programme cohérent et attrayant, soutenu par divers gouvernements africains et asiatiques et par nos sociétés civiles du Nord. Daucuns avaient espéré son élection jusquau dernier moment. Il eût aussi fallu pour cela quil eût été mieux soutenu par les membres européens de lOIF, particulièrement par la France, ce qui ne fut pas le cas, malgré diverses assurances reçues par lui à Paris.
M. de lEstrac a pu, dans une conférence de presse, inusitée en pareille circonstance, déplorer ce quil a pu ressentir comme une trahison de la part de pays africains qui sétaient engagés à le soutenir, et du Président français, bizarrement acquis à la candidature de Mme Jean.
Les observateurs avertis savent que le Canada fédéral, contrairement au Québec, est en Francophonie un peu pour ses communautés francophones quil laisse fondre hors Québec, mais beaucoup pour encadrer et surveiller le Québec "Belle Province", depuis la création de la timide ACCT en 1970 à Niamey, et plus encore depuis le premier Sommet réuni en février 1986 à Paris et Versailles par le Président Mitterrand. Ainsi que pour faire pièce à un allié-ami et néanmoins concurrent-ennemi : la France. Aussi pour développer les affaires avec lAfrique. Mais ce dernier objectif ne saurait être condamné ici, car largement partagé par la France, le Vietnam, la Belgique, la Suisse, le Qatar, et bien dautres pays membres.
Dans divers milieux québécois, on regrette que lélection dune personne du Nord au Secrétariat général de lOIF entraîne le départ de M. Clément Duhaime, leur compatriote compétent et respecté. En effet, en vertu dune tradition bien ancrée, le poste clé dAdministrateur général va à une personne du Sud si le Secrétaire Général vient du Nord, et réciproquement.
Ne va-t-on pas aussi là-bas, et ailleurs, jusquà faire, à Mme Jean et à Ottawa, un procès dintention : celui dune sorte dOPA sur lOIF au profit du Canada fédéral et de lempire anglo-saxon. Quitte, logiquement, à prouver la justesse de la prévision dun Bernard Kouchner qui voyait dans " langlais, lavenir de la Francophonie" ?
Les associations concernées, inquiètes, refusent pourtant ce scénario catastrophe.
Elles sont, tout en restant particulièrement vigilantes, prêtes à donner toutes ses chances à Mme Jean, à sa sensibilité, son intelligence, à son souci de laisser une marque digne delle dans lhistoire de la construction de la Francophonie
Elles travaillent simplement à développer la solidarité et la coopération entre associations de France, du Québec, de Wallonie-Bruxelles, de Suisse, et dautres communautés francophones, y compris en Afrique, en Amérique centrale et en Asie, pour faire face à toutes éventualités.
Elles peuvent retrouver ainsi lesprit, le bouillonnement très fécond de la décennie que, dans les années 1960, avant la création en 1970 de lACCT, on a appelé la Francophonie des ONG.
Albert Salon, président d'ALF, docteur dÉtat ès-lettres, ancien conseiller culturel puis ambassadeur français.