La politique linguistique

La politique linguistique

Texte reproduit avec autorisation. Source : http://www.axl.cefan.ulaval.ca

Selon la réforme constitutionnelle de 1993, adoptée en 1994 et entrée en vigueur le 1er janvier 1995, la Belgique est devenue un État fédéral constitué de trois régions économiquement autonomes (la Région flamande, la Région wallonne et la région de Bruxelles-Capitale) et de trois communautés linguistiques (la Communauté française, la Communauté flamande et la Communauté germanophone). La Belgique est donc à la fois un État fédéral, régional et communautaire. On peut consulter un tableau représentant la structure de l'État belge.  

 

1.    Les textes juridiques

La politique linguistique de la Belgique fédérale est à la fois définie dans la Constitution de 1994 (art. art. 2, 4, 30, 43, 54, 67, 68, 99, 115, 118, 121, 123, 127, 128, 129, 130, 135, 136, 137, 138, 139, 175, 176, 178, 189) et dans un grand nombre de lois linguistiques dont les suivantes :

- l’arrêté royal du 6 janvier 1933 relatif à l'emploi des langues en matière administrative;
- l’arrêté royal du 11 janvier 1933 relatif à l'emploi des langues en matière administrative;
- la loi du 15 juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire;
- la loi du 30 juillet 1938 concernant l'usage des langues à l'armée;
- la loi du 2 juillet 1954 relative à l'emploi des langues en matière administrative;
- la loi du 30 juillet 1963 (relative au régime linguistique de l'enseignement);
- la Loi sur l'emploi des langues en matière administrative coordonnée le 18 juillet 1966;
- la loi du 30 novembre 1966 (examens linguistiques);
- la loi du 2 juillet 1969 (Emploi des langues en matière judiciaire);
- la loi du 4 août 1969 (Commission permanente de contrôle linguistique);
- la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes constitutionnelles;
- la loi du 28 juin 1983 relative à la Cour d'arbitrage;
- la loi du 11 août 1988 (Emploi des langues dans les juridictions militaires);
- la loi du 5 octobre 1988 (Emploi des langues en matière judiciaire);
- la Loi spéciale relative aux institutions bruxelloises (du 12 janvier 1989).

On constate que la « Belgique nouvelle » compte cinq niveaux de décision : l'État fédéral, les régions, les communautés, les provinces et les communes (les deux dernières demeurant sous la juridiction des régions).

Les pouvoirs sont quasi exclusifs aux différents paliers de pouvoir et à l'État fédéral qui a dû transférer en 1988-1989 quelque 40 % de ses pouvoirs aux régions et aux communautés. Cependant, les réformes constitutionnelles se sont poursuivies avec le résultat que ce pourcentage de 40 % a certainement augmenté considérablement.

Ces trois premiers paliers regroupaient auparavant les mêmes individus; députés et sénateurs étaient membres de trois institutions différentes : la Chambre des représentants, le Sénat, le Conseil communautaire (flamand, français ou germanophone), le Conseil régional (Flandre, Wallonie ou Bruxelles). On peut aisément imaginer les contraintes qu'occasionnait un tel système pour les élus qui devaient siéger dans trois parlements successifs, parfois presque simultanément. Heureusement, ce n’est plus le cas aujourd’hui, car il n’est plus possible en principe de cumuler deux fonctions parlementaires, sauf... au niveau régional (Parlement wallon et Conseil de la Communauté française; Parlement wallon et Conseil de la Communauté germanophone) et fédéral (pour les sénateurs).

L’État belge reconnaît trois langues officielles : le néerlandais, le français et l’allemand. Toutefois, il ne fonctionne qu’en néerlandais en Flandre, qu’en français en Wallonie et qu’en allemand dans la région de langue allemande; à Bruxelles, le néerlandais et le français sont à parité. Les communications publiques de l’État fédéral sont réalisées en fonction de la langue officielle du territoire où le message doit être entendu ou lu.

Pour les citoyens, le choix de la langue est constitutionnellement libre. L’autorité fédérale reste compétente pour légiférer et réglementer l'emploi des langues dans toutes les communes à facilités, la région de Bruxelles-Capitale et la Communauté germanophone. Toutefois, cette dernière vient de se voir attribuer la compétence de régler l'emploi des langues dans l'enseignement.

 

2. La parité des langues en Belgique fédérale

Au gouvernement fédéral, le pouvoir exécutif est exercé par le roi et ses ministres. Conformément à l’article 99 de la Constitution, le Conseil des ministres compte obligatoirement autant de ministres francophones (7) que de ministres néerlandophones (7): «Le premier ministre éventuellement excepté, le Conseil des ministres compte autant de ministres d'expression française que d'expression néerlandaise.» Mais le roi peut nommer 15 ministres, dont sept néerlandophones et sept francophones et un premier ministre officiellement non identifié au point de vue linguistique; on parle alors d'une personne «asexuée» linguistiquement.

2.1 Le premier ministre

Depuis près de deux décennies, le premier ministre est un Flamand, mais il n’en a pas toujours été ainsi. Considérant les chefs des gouvernements depuis 1945, on peut compter huit francophones sur 16 premiers ministres : Pierlot (1944-1945), Spaak (1946, 1947-1949), Duvieusart (1950), Pholien (1950-1952), Lefèvre (1961-1965), Harmel (1965-1966), Van den Boeynands (1966-68), Leburton (1973-1974). Certains d’entre eux, dont le dernier cité, pouvaient à peine parler quelques mots en néerlandais! Des nominations pareilles seraient de nos jours vraiment impensables, puisqu’une connaissance pratique des deux langues nationales est jugée désormais indispensable (pour ainsi dire c’est une loi coutumière récente, car jusqu’à présent rien n’est inscrit dans des lois). Il n'en demeure pas moins que tout premier ministre d'aujourd'hui est d'origine flamande, même avec un nom français comme Yves Leterme, qui a remplacé G. Verhofstadt). La nomination d'un premier ministre néerlandophone correspond en principe à une tradition non écrite. C'est aussi le parti politique le plus important (ou la famille politique la plus importante), qui fournit le premier ministre, tandis que chaque parti de la coalition gouvernementale fournit un vice-premier ministre. Les Flamands disent aussi qu'il est plus facile de trouver un politicien bilingue d'origine flamande que d'origine française.

En principe, le premier ministre et les ministres du gouvernement fédéral s'expriment en français et en néerlandais; on peut noter que, de façon générale, les ministres flamands sont bilingues, les ministres francophones étaient souvent unilingues (du moins en ce qui a trait aux langues officielles). Cependant, un changement s’est amorcé à cet égard depuis quelques années et désormais pratiquement tous les ministres fédéraux francophones font de gros efforts pour s’exprimer dans un néerlandais correct.

 

2.2 Les institutions fédérales

La parité des langues, soit 50 % de Flamands et 50 % de Wallons, s’applique également pour la Cour d’arbitrage, le Conseil d’État, la Cour de cassation, le Conseil supérieur de la justice, etc., et un nombre important d’autres organismes gouvernementaux. Autrement dit, il n'existe pas de minorité ou de majorité au plan de la gestion fédérale. Les mécanismes régissant le fonctionnement de l'État fédéral belge visent à supprimer l'infériorité numérique des francophones en faisant d'eux l'un des deux peuples « codominant » (avec les Flamands) la structure étatique. Au plan fédéral, c'est l'égalité entre les deux communautés au point où l'on peut parler d'«État bicéphale » ou encore d'«État dualiste », que ce soit au Conseil des ministres, la Cour constitutionnelle, etc. Des mécanismes de protection ont été institués pour défendre la minorité parlementaire francophone (p. ex., la procédure de la « sonnette d’alarme ») permettant de bloquer pendant un certain temps des projets de la majorité flamande. Cette procédure avait jusqu’en 2007 un effet dissuasif, mais elle a été actionnée durant la longue période de vacance du pouvoir issue des élections de juin 2007 par les francophones lorsque les Flamands ont voulu faire passer de force le projet de scission de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde, ce qui aurait pour effet de rendre inutile le vote d’environ 100 000 francophones de la périphérie de Bruxelles.

Si donc le Conseil de l’Europe ne reconnaît pas les francophones de Belgique comme minorité, ce qu’ils ne sont effectivement pas au sein de leur communauté, au plan de l’État belge, ils constituent indubitablement une minorité numérique protégée par des mécanismes de blocage des décisions que pourrait prendre la composante flamande du Parlement.

Ces mécanismes de blocage, qui étaient considérés à l’origine comme une sorte de «bombe atomique » institutionnelle, s’avèrent maintenant devenir des mécanismes d’usage courant, alors qu’ils n’étaient pas prévus pour cela.

 

2.3 La famille royale

En ce qui concerne la famille royale (d’origine allemande au XIXe siècle), ses membres s’exprimaient essentiellement en français, à l'instar de la noblesse et la bourgeoisie au XIXe siècle (jusque et y compris Léopold II). Depuis le changement de branche (Albert Ier, Léopold III, Baudouin Ier, Albert II et Philippe), le roi des Belges est bilingue, voire trilingue (français-néerlandais-allemand). Mais cela ne suffit pas à un certain nombre de nationalistes flamands qui scrutent jusque dans la vie privée des membres de la famille royale et ne supportent pas manifestement que la langue parlée en famille avec les enfants soit le plus fréquemment le français. Depuis 2006 environ, les nationalistes flamands cristallisent leur opposition sur le prince Philippe, alors prince héritier qui, malgré ses études, éprouvait encore des difficultés à s'exprimer en néerlandais avec un minimum d'aisance. La reine Paola, d’origine italienne, parle sans doute avec difficulté le néerlandais, mais ses enfants et beaux enfants peuvent s’exprimer dans les deux principales langues nationales.

Malgré tout, la famille royale est perçue par un certain nombre de Flamands « purs et durs » comme une véritable « honte ». Ces mêmes Flamands tendent à se méfier de ce roi « francophile » constituant le « symbole » de l’État belge auquel ils ne veulent plus s'identifier.Contrairement aux Wallons, généralement royalistes (alors que, lors du referendum de 1950 sur le retour de Léopold III, ils étaient majoritairement antiléopoldistes), une minorité significative de Flamands considère désormais le roi et sa famille comme un obstacle encombrant à l’émancipation de la Flandre. Cette minorité cherche ainsi à discréditer la famille royale aux yeux des autres Flamands; ils utilisent des arguments linguistiques plus ou moins fondés, mais efficaces pour détourner le reste des Flamands de sa fidélité au roi.

 

3. La représentation proportionnelle au Parlement

Contrairement aux communautés et aux régions qui fonctionnent avec un seul Conseil chacun (un seul parlement), l'État fédéral dispose de deux chambres : le Parlement fédéral (ou Chambre des représentants) et le Sénat. Dans les deux chambres, députés et sénateurs sont répartis en deux groupes linguistiques, le groupe français et le groupe néerlandais, en fonction de leur représentation proportionnelle (art. 43 de la Constitution):

Article 43

Pour les cas déterminés dans la Constitution, les membres élus de chaque chambre sont répartis en un groupe linguistique français et un groupe linguistique néerlandais, de la manière fixée par la loi.

Étant donné que la représentation proportionnelle joue en faveur des Flamands, ceux-ci sont forcément majoritaires tant à la Chambre des représentants qu’au Sénat. La Chambre et le Sénat s’occupaient, jusqu’en 1970, de toutes les matières, puis furent créés les « conseils culturels » où les parlementaires se retrouvaient par groupe linguistique pour régler, chacun de leur côté, les matières culturelles, auxquelles furent ajoutées par la suite d’autres matières « personnalisables » et « communautaires ». Mais la mise en œuvre de l’ancien article 107quater de la Constitution, qui prévoyait l’existence de la Région flamande de la Région wallonne et de la Région bruxelloise fut épineuse. Cette loi devait être adoptée «à la majorité des suffrages dans chaque groupe linguistique de chacune des Chambres […] pour autant que le total des votes positifs émis dans les deux groupes linguistiques atteigne les deux tiers des suffrages exprimés » (chapitre III de la Constitution). Le même système est applicable pour amener un changement des limites des régions linguistiques ou partager le territoire en un plus grand nombre de provinces.

En plus, il y a la fameuse sonnette d’alarme (depuis la réforme de l’État, en 1970). L’article 38 bis du chapitre I nous informe que « sauf pour les budgets […] une motion motivée, signée par les trois quarts au moins des membres d’un des groupes linguistiques […] peut déclarer que les dispositions d’un projet de loi sont de nature à porter gravement atteinte aux relations entre les communautés ». Il s’agit bien entendu de projets de loi émanant de la Chambre fédérale, et non pas des projets de loi qui sont déposés dans les conseils communautaires et régionaux. Toutes ces dispositions qui donnent des garanties aux francophones doivent également servir à protéger la minorité flamande au sein des organismes bruxellois. Le néerlandais et le français sont les seules langues utilisées dans les débats des deux chambres fédérales. Les lois et règlements sont toujours adoptés et promulgués en néerlandais et en français; il en est ainsi d’arrêtés royaux et ministériels. Tout document émanant des autorités fédérales doit être rédigé à la fois en français et en néerlandais pour avoir force de loi.

L'allemand ne détient, en principe, aucun statut au sein de l'État fédéral, sauf lorsqu'il s'agit d'une question concernant exclusivement la région de langue allemande ou la Communauté germanophone. Ce fait constitue évidemment une grande inégalité pour les citoyens germanophones qui, par conséquent, sont censés connaître le français ou le néerlandais s’ils veulent prendre connaissance des textes législatifs fédéraux. Cela dit, la Cour d’arbitrage a décidé (l’arrêt no 59/94 du 14 juillet 1994) que les lois et arrêtés devraient faire l’objet d’une traduction systématique en langue allemande dans un délai raisonnable… Faute de volonté politique, on s’est généralement contenté de publier le texte en allemand, en français et en néerlandais, quand la loi fédérale en question s’applique aux communes germanophones en particulier. Les germanophones n’ont pas un nombre de députés garanti à la Chambre des représentants. L’article 43 § 1 de la Constitution précise bien qu’il n’y a que des groupes linguistiques néerlandais et français au sein de la Chambre des représentants. Depuis la réforme de l’État de 1993, les germanophones ont droit à un représentant garanti au Sénat (le sénateur communautaire).

Outre la défense nationale, la politique extérieure (sauf pour les matières qui relèvent des Communautés et des Régions), la monnaie (sous réserve que maintenant il s’agit d’une compétence du Parlement européen), la police, etc., l'autorité fédérale dispose de certaines compétences en matière linguistique, par exemple lorsqu'il s'agit des institutions communes: les Chambres, l'armée, l'administration centrale, etc.

 

4. L’emploi des langues en matière judiciaire

C’est la loi du 15 juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire qui régit l’usage des langues en matière de justice. La loi a été plusieurs fois modifiée par la suite et elle demeure toujours en vigueur. En vertu de cette loi, les tribunaux civils et commerciaux n’utilisent qu’une seule langue en Flandre (néerlandais), en Wallonie (français) et dans la région de langue allemande (allemand):

Article 1er

Devant les juridictions civiles et commerciales de première instance, et les tribunaux du travail dont le siège est établi dans les provinces d’Hainaut, de Luxembourg, de Namur et dans les arrondissements de Nivelles, Liège, Huy et Verviers, toute la procédure en matière contentieuse est faite en français. [L. 23 septembre 1985, art. 1er (vig. voy. L. 23 septembre 1985, art. 59 s., infra)].

Article 2

Devant les juridictions civiles et commerciales de première instance, et les tribunaux du travail dont le siège est établi dans les provinces d'Anvers, de Flandre-Occidentale, de Flandre orientale, de Limbourg et dans l'arrondissement de Louvain, toute la procédure est faite en néerlandais. [L. 23 septembre 1985, art. 2 (vig. voy. L. 23 septembre 1985, art. 59 s., infra)].

Article 2bis

Devant les juridictions civiles et commerciales de première instance, et le tribunal du travail dont le siège est établi dans l'arrondissement d'Eupen, toute la procédure en matière contentieuse est faite en allemand. [L. 23 septembre 1985, art. 3 (vig. voy. L. 23 septembre 1985, art. 59 s.,infra)].

Les procès se déroulent dans la langue de la région linguistique où siège le tribunal (français, néerlandais ou allemand). Lorsque l’accusé provient d’une autre région ou qu’il connaît mal la langue, trois cas sont possibles :

(1) l'accusé accepte que le procès se déroule dans une autre langue (français, néerlandais ou allemand);
(2) il peut demander les services d’un interprète (à charge du Trésor), mais c’est le juge qui décide du bien-fondé de la requête;
(3) il doit être traduit, à sa demande, devant une cour d'une autre province où la cour parle sa langue.

Les documents sont produits en français dans la région de langue française, en néerlandais dans la région de langue néerlandaise, en allemand et en français dans la région de langue allemande, et en néerlandais et en français dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale. Au civil, les jugements et les arrêts sont formulés dans la langue de la procédure de la région linguistique, sauf si le juge en a décidé autrement.

Toujours, en matière civile et commerciale, du moins dans certains cas, le défendeur peut solliciter la poursuite de la procédure dans une langue autre que celle utilisée dans l’acte introductif. De même, les plaideurs peuvent choisir de commun accord une langue autre que celle imposée par la loi. Cependant, sauf à Bruxelles, l’acte introductif d’instance doit être rédigé en français ou en néerlandais selon que le défendeur est domicilié en région de langue française ou en région de langue néerlandaise. La procédure est dès lors poursuivie dans cette langue, à moins que le défendeur ne demande que la procédure suive son cours dans une autre langue. Le juge peut cependant refuser de faire droit à cette demande si les éléments de la cause établissent que le défendeur a une connaissance suffisante de la langue employée dans l’acte introductif. La décision du juge doit, comme toute décision, être motivée sur ce point, mais elle n’est pas susceptible d’appel.

À Bruxelles, la loi du 15 juin 1935 prévoit que les deux tiers des juges bruxellois doivent être bilingues (50 % de Flamands et 50 % de francophones). Les juges n'ont le droit de siéger que dans la langue de leur diplôme. Les tribunaux disposent d’un nombre suffisant de juges flamands bilingue, ce qui est loin d’être le cas pour les juges francophones. En effet, les tribunaux manquent cruellement de juges francophones bilingues.

Cela dit, la loi fédérale prévoit des accommodements en matière pénale. La loi fédérale de 1935 prévoit un double mécanisme en matière pénale. Conformément à la Constitution, le prévenu peut choisir sa langue dans la procédure judiciaire. S’il se trouve dans une région linguistique qui ne correspond pas à cette langue, la juridiction sera dessaisie et le dossier sera envoyé à la juridiction d’une autre région linguistique, la plus rapprochée du domicile de l’inculpé. Par ailleurs, l’inculpé qui ne comprend pas une autre langue que le français [ou le néerlandais ou l’allemand évidemment] peut demander que soit jointe au dossier une traduction des procès-verbaux des déclarations des témoins ou plaignants, des rapports d’experts rédigés, etc. En ce cas, les frais de traduction sont à charge de l’État. Enfin, durant les débats oraux, des interprètes sont également mis à disposition du prévenu, si nécessaire [quand le dossier n’est pas envoyé à une juridiction d’une autre région linguistique bien entendu]. Bref, en matière pénale, les jugements et les arrêts sont toujours formulés dans la langue de la procédure de la région linguistique.

 

5. L’Administration publique fédérale

C'est la Loi sur l'emploi des langues en matière administrative (18 juillet 1966) qui réglemente tout le système linguistico-administratif du pays. Voici ce qui est édicté dans l'article 10:

 

Article 10

Tout service local établi dans la région de langue française, de langue néerlandaise ou de langue allemande utilise exclusivement la langue de sa région dans les services intérieurs, dans ses rapports avec les services dont il relève [...]

L'Administration fédérale installée hors de Bruxelles demeure unilingue : elle ne fonctionne qu'en français en Wallonie ou qu'en néerlandais en Flandre. Mais la fonction publique de l'État belge établie à Bruxelles doit être bilingue et offrir des services en deux langues. Conformément à l’article 19, tout service local de Bruxelles-Capitale emploie, dans ses rapports avec un particulier, la langue que l'intéressé utilise quand celle-ci est le français ou le néerlandais. Tous les documents de l’Administration fédérale sont rédigés dans les trois langues officielles et ils doivent être rigoureusement identiques. Par exemple, l’avis d’impôt envoyé aux habitants francophones de la Wallonie sera identique de contenu et de typographie que ce même document envoyé à un citoyen néerlandophone de Bruxelles. Évidemment, la seule différence sera la langue dans laquelle le document est rédigé. Il n’y a pas de documents bilingues. Même dans l’agglomération bruxelloise, tous les documents sont unilingues, mais disponibles soit en français soit en néerlandais.

L’Administration est conçue en réseaux linguistiques parallèles. Les lois et règlements précisent que 40 % des fonctionnaires sont unilingues néerlandophones, 40 % unilingues francophones et 20 % bilingues, mais également répartis entre Flamands et Wallons. Le réseau francophone et le réseau néerlandophone ne travaillent que dans leur langue; pour communiquer d'un réseau à l'autre, le fonctionnaire francophone ou néerlandophone doit passer par le réseau des fonctionnaires bilingues. Les ministères de la Justice, de l'Intérieur et de la Défense sont scindés en deux : l'un est francophone, l'autre, néerlandophone.

Quant à l'armée belge, elle est composée de bataillons unilingues néerlandophones, francophones ou germanophones. Cependant, selon les dispositions de la loi du 30 juillet 1938 concernant l'usage des langues à l'armée, les officiers et les candidats officiers doivent posséder une connaissance approfondie de la langue française ou de la langue néerlandaise (art. 1er):

 

Article 1er

La connaissance approfondie de la langue française ou de la langue néerlandaise et la connaissance effective de la seconde langue nationale sont obligatoires pour l'accession au grade de sous-lieutenant dans les cadres actifs.

Conformément à l'article 23 de la Constitution de 1994, l’emploi des langues utilisées en Belgique est en principe facultatif et il ne peut être réglementé que par la loi, et ce, uniquement pour les actes de l'autorité publique et pour les affaires judiciaires :

 

Article 23

L'emploi des langues usitées en Belgique est facultatif; il ne peut être réglé que par la loi, et seulement pour les actes de l'autorité publique et pour les affaires judiciaires.

On peut consulter le texte de la Constitution de 1994 et lire les dispositions linguistiques. On peut consulter également la Loi sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnée le 18 juillet 1966. Rappelons que cette loi est très importante dans le domaine de la législation linguistique en Belgique puisqu'elle constitue la base fondamentale du droit des langues en Belgique. 

 

6. L’affichage et la signalisation routière

En Wallonie et en Flandre, l’affichage public, la toponymie, l’odonymie (rues) et la signalisation routière sont rédigés dans une seule langue. Une particularité plutôt curieuse : les indications toponymiques françaises sont inscrites en néerlandais en Flandre, alors que les toponymes néerlandais sont en français en Wallonie. Les changements toponymiques aux frontières linguistiques causent parfois de sérieux inconvénients aux touristes peu habitués à ce qu'un même nom de lieu change brusquement de forme à l'intérieur d'un même pays. Ainsi, la ville wallonne de Liège a comme unique forme Luik en Flandre; même la ville française de Lille porte le seul nom de Rijsel en Flandre. D’ailleurs, cette pratique semble quelque peu contraire à toutes les conventions internationales adoptées généralement par les pays membres des Nations unies. Signalons que la France fait de même avec Bruges (au lieu de Brugge), »Courtrai (au lieu de Kortrijk), Aix-la-Chapelle (au lieu de Aachen), etc. Sans parler de l’Italie: Bolzano (au lieu de Bozen), Bressanone (au lieu de Brixen), Nizza (au lieu de Nice), etc.

À Bruxelles, c’est le bilinguisme obligatoire pour les inscriptions publiques, sauf celles relevant de la Communauté française ou de la Communauté flamande. Le bilinguisme bruxellois est systématique: la plupart des noms de rue ont été bilinguisés (ceux en français comme ceux en néerlandais), de même que le domaine des transports en commun (train, métro, autobus) et les places publiques. Toutes les plaques odonymiques commencent par les mots rue, avenue, boulevard et se terminent par les mots straat, laan, veste. De part et d'autre des deux termes spécifiques superposés, apparaissent les termes génériques bilingues et également superposés (p. ex. rue du Trône/Troonstraat) ou non (p. ex. rue Ravensteinstraat, boulevard Anspach / Anspachlaan). La ville de Bruxelles se retrouve forcément avec de grandes plaques odonymiques, mais heureusement seuls les chauffeurs d’autobus et de taxi doivent les mémoriser (en double version française et néerlandaise).

La signalisation routière est également bilingue et les noms des villes sont indiqués en deux versions (néerlandaise et française); généralement, on évite de superposer ces inscriptions pour les disposer plutôt de gauche à droite en utilisant l'alternance linguistique (p. ex.Liège/Luik, Antwerpen/Anvers) sur un même panneau ou d'un panneau à l'autre. Les appellations non bruxelloises sont indiquées selon l'ordre de la langue en vigueur dans la région concernée. Par exemple, les panneaux indiquant des villes flamandes sont toujours en néerlandais d’abord et en français ensuite (Antwerpen/AnversGent/GandLeuven/Louvain), alors que les villes wallonnes paraissent en français et ensuite en néerlandais (Liège/LuikNivelles/NijvelTournai/Doornik). Cette façon de faire ne semble guère conforme aux normes internationales, lesquelles préconisent de ne jamais «traduire» les noms propres, mais plutôt de conserver la graphie de la langue originale. On trouve aussi à Bruxelles: Toutes directions / Alle richtingenRalentir / Vaart minderenAxe rouge / Rode AsPassage difficile / Moeilijke doorgang. Voici encore des exemples de plaques qu’on a apposées aux frontières administratives des communes de l’agglomération bruxelloise: Ixelles/ElseneBruxelles/BrusselSchaerbeek/SchaarbeekForest/Vorst, etc. Comme Bruxelles est en même temps la capitale de l’Union européenne et un centre touristique important, certaines indications figurent parfois aussi en anglais et en allemand (par exemple: Informations/Inlichtingen / Information/Auskunft).

Dans la région germanophone, les inscriptions officielles gouvernementales sont généralement bilingues avec prédominance de la langue allemande. Pour ce qui est des communes, les inscriptions ont tendance à être en allemand, conformément à l'unilinguisme territorial belge, mais quelques communes utilisent le bilinguisme allemand-français; l'odonymie et la toponymie apparaissent presque toujours en allemand, de même que la signalisation routière.

Cela dit, certaines pratiques demeurent insolites pour un observateur francophone de l'extérieur: on trouve, par exemple, des inscriptions comme Police/Polizei et Hôtel de Ville (en allemand, Rathaus est souvent inexistant). Dans certaines municipalités, les inscriptions relatives au stationnement sont parfois bilingues parfois unilingues allemandes. Contrairement aux régions flamande et wallonne, les indications toponymiques des villes françaises ou néerlandaises ne sont pas toujours traduites; elles ne portent donc qu'un nom français, néerlandais ou allemand. Néanmoins, on peut lire sur des panneaux des communes germanophones Lüttich (au lieu de Liège) ou, par exemple, en deux langues Lüttich-Liège et Löwen (au lieu de Leuven).

Enfin, dans le domaine de l'étiquetage, la Loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur traitait à l'article 13 de la question linguistique :

 

Article 13

1) [Les mentions qui font l'objet de l'étiquetage et qui sont rendues obligatoires par la présente loi, par ses arrêtés d'exécution et par les arrêtés d'exécution visés à l'article 122, alinéa 2, les modes d'emploi et les bulletins de garantie sont au moins libellés dans la langue ou les langues de la région linguistique où les produits ou les services sont mis sur le marché.]

2) Lorsqu'il est obligatoire, l'étiquetage doit être utilisé sous la forme et avec le contenu fixés par la réglementation.

3) Les mentions de l'étiquetage doivent être apparentes et lisibles et nettement distinctes de la publicité.

4) En aucun cas, l'étiquetage ne peut être présenté de manière telle qu'il puisse être confondu avec un certificat de qualité.

Cependant, une partie de l'article 13 a été remplacé par l'article 3 de la Loi du 25 mai 1999 modifiant la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur (M.B., 23.06.99):

 

Article 3

L'article 13, alinéa premier, de la même loi est remplacé par la disposition suivante :

"Les mentions qui font l'objet de l'étiquetage et qui sont rendues obligatoires par la présente loi, par ses arrêtés d'exécution et par les arrêtés d'exécution visés à l'article 122, alinéa 2, les modes d'emploi et les bulletins de garantie sont au moins libellés dans la langue ou les langues de la région linguistique où les produits ou les services sont mis sur le marché."

Plus précisément, il faut au moins que le libellé soit rédigé dans la langue de la région linguistique, soit en néerlandais, soit en français, soit en allemand, ce qui n'exclut nullement que deux ou trois langues soient employées.

 

7. Les entreprises privées

 

Les prescriptions linguistiques à l’égard des entreprises privées sont peu nombreuses. Même les entreprises commerciales de la région bruxelloise, conformément à l'article 28 de la Loi constitutionnelle (17 et 29 juillet 1980 et 23 janvier 1981), ne sont pas soumises à la loi du bilinguisme institutionnel. Toutefois, l’article 52 de la Loi sur l’emploi des langues en matière administrative (1966) stipule ce qui suit: 

 

Article 52

1) Pour les actes et documents imposés par la loi et les règlements et pour ceux qui sont destinés à leur personnel, les entreprises industrielles, commerciales ou financières font usage de la langue de la région où sont établis leur siège ou leurs différents sièges d'exploitation.

Dans Bruxelles-Capitale, ces documents destinés au personnel d'expression française sont rédigés en français et ceux destinés au personnel d'expression néerlandaise en néerlandais.

2) Sans préjudice des obligations que le no 1er leur impose, ces mêmes entreprises peuvent ajouter aux avis, communications, actes, certificats et formulaires destinés à leur personnel une traduction en une ou plusieurs langues, quand la composition de ce personnel le justifie.

Autrement dit, la langue des services est celle de la région, sauf à Bruxelles où les deux langues sont admises. Qu’ils soient francophones ou néerlandophones, les Bruxellois reçoivent généralement des services dans leur langue maternelle dans la plupart des entreprises privées.

En réalité, il existe trois réglementations distinctes organisant l'emploi des langues en matière de relations sociales entre les employeurs et leur personnel. Il s'agit plus particulièrement du décret du 19 juillet 1973 du Conseil Culturel de la Communauté néerlandaise, du décret du 30 juin 1982 du Conseil Culturel de la Communauté française et les lois coordonnées sur l'emploi des langues du 18 juillet 1966.

En Wallonie, en vertu du décret du 30 juin 1982 de la Communauté française, l'usage du français est imposé aux employeurs ayant leur siège d'exploitation dans la région de langue française, dans le cadre de leurs relations sociales avec leurs travailleurs (les provinces du Brabant Wallon, d’Hainaut, de Luxembourg, de Namur, de Liège, à l'exception toutefois des communes de langue allemande et des communes de Malmédy et Waimes). Ne sont donc pas visées par ce décret, les régions de langue néerlandaise, de langue allemande, Bruxelles-Capitale et les communes à facilités linguistiques.

Tous les actes et documents destinés au personnel ou qui sont prescrits par la loi et les règlements devront être établis en français. Le décret autorise néanmoins, au choix des parties, l'usage complémentaire d'une autre langue, mais aucune traduction obligatoire n'est cependant prévue. Comme en Région flamande, les actes et documents établis en méconnaissance des dispositions du décret sont nuls et doivent être remplacés. Le document de remplacement ne rétroagit cependant pas la date du premier document.

Dans la Région flamande, c’est le décret du 19 juillet 1973 qui impose l'usage exclusif du néerlandais en matière de relations sociales à tout employeur ayant un siège d'exploitation dans la région de langue néerlandaise (à savoir les provinces d'Anvers, de Limbourg, de Flandre-Occidentale, de Flandre-Orientale et du Brabant flamand). Sont exclus les régions wallonnes et de langue allemande, le territoire de Bruxelles -Capitale et les communes à facilités.

L'usage du néerlandais est obligatoire pour tous les contacts individuels et collectifs, tant oraux qu'écrits, entre employeurs et travailleurs qui ont avec l'emploi un rapport direct ou indirect: par exemple, les ordres, les communications, les notes de service, les publications ainsi que les réunions de personnel ou de service, les documents comptables prescrits par la loi. Il en va de même pour les relations en vigueur au sein du conseil d'entreprise et du comité de sécurité et d'hygiène.

Dans la Région de Bruxelles-Capitale, les communes à facilités et la Communauté germanophone, l’emploi des langues dans par les lois coordonnées du 18 juillet 1966. En région de Bruxelles-Capitale (les 19 communes), les actes et documents destinés au personnel doivent être rédigés en français pour le personnel d'expression française et en néerlandais, pour le personnel d'expression néerlandophone. En ce qui concerne par contre les actes et documents prescrits par la loi et les règlements, l'employeur a le libre choix de la langue à utiliser.

Dans la communauté germanophone, la langue à utiliser tant pour les actes et documents prescrits par la loi et les règlements que ceux destinés au personnel doit être établie en allemand.

Dans les communes à facilités de la périphérie bruxelloise ainsi que dans les communes à facilités situées en Région flamande, la langue à utiliser en matière de relations sociales est le néerlandais. Dans les communes à facilités situées en Région wallonne, la langue à utiliser en matière de relations sociales est le français. Pour les documents destinés au personnel, une traduction en une ou plusieurs langues peut être envisagée. En ce qui concerne les rapports entre une entreprise privée installée dans une de ces communes à régime linguistique spécial et l'administration centrale (ONSS, ONEM, etc.), ils doivent se dérouler dans la langue choisie par l'entreprise, et ce, même si, dans ses rapports avec son personnel, elle est contrainte d'utiliser une autre langue (avis du 30 mars 1995 de la Commission permanente de contrôle linguistique).

Mentionnons aussi quelques autres prescriptions juridiques qui concernent certains aspects du fonctionnement de l’entreprise, comme :

- l’emploi des langues au comité d’entreprise (article 15i de la Loi sur l’organisation des entreprises de 20 septembre 1948, concrétisée par l’article 14 de la Convention collective du travail no 9 du 9 mars 1972);

- l’emploi des langues des Conventions collectives (article 13, section II de la Loi sur la Convention collective du 5 décembre 1968);

- l’emploi des langues concernant les documents rédigés par le médecin du travail (article 1 § 3 de loi sur la sécurité des employés de 10 juin 1952)

 

L'affichage commercial n'est soumis à aucune réglementation, mais, sauf exceptions, c’est généralement la règle de l’unilinguisme territorial, tant en Flandre qu’en Wallonie. Aucun commerçant ne se risquerait, par exemple, à afficher en français sur le territoire flamand, la pression sociale ne favorisant pas cette pratique. Il est plus simple et plus pratique de recourir alors à l'anglais.

À Bruxelles, on retrouve à peu près de tout: de l'unilinguisme français et de l'unilinguisme néerlandais, du bilinguisme français-néerlandais ou néerlandais-français, mais aussi beaucoup d'unilinguisme anglais. De plus en plus de propriétaires d'établissements hôteliers ou commerciaux, de même qu'un certain nombre de grandes entreprises nationales et internationales, utilisent parfois l'anglais pour leurs informations écrites à la clientèle, et même dans les raisons sociales. L'anglais devient ainsi une langue d'évitement et constitue une porte de sortie commode lorsqu'on veut s’abstenir de prendre position dans le conflit des langues à Bruxelles. Néanmoins, de façon générale, les entreprises publient leurs informations écrites et en français et en néerlandais (en français d’un côté, en néerlandais de l’autre).

Dans la région germanophone, l'unilinguisme allemand est la règle générale, mais on trouve également de l'unilinguisme français (de 10 % à 15 % selon les communes), parfois du bilinguisme allemand-français ou français-allemand. Dans la plupart des affiches bilingues, il s'agit surtout d'inscriptions unilingues juxtaposées (gauche/droite). L'unilinguisme allemand ou français demeure plus fréquent que le bilinguisme. Cependant, les raisons sociales des banques (belges ou étrangères) sont presque toujours bilingues (allemand-français).

 

8. Les mécanismes de contrôle

La Loi sur l'emploi des langues en matière administrative du 18 juillet 1966 a prévu une Commission permanente de contrôle linguistique (CPCL), qui a pour mission de surveiller l'application des lois linguistiques. Cette commission est composée de 11 membres (cinq francophones, cinq néerlandophones et un germanophone) nommés par le roi, pour une période de quatre ans, parmi les candidats présentés par les communautés française, néerlandaise et allemande.

La CPCL est formée de deux sections: section néerlandaise pour tout ce qui a trait à la Flandre et les communes sans régime linguistique spécial; une section française pour la Wallonie, les cantons germanophones et les communes sans régime linguistique spécial. Cependant, lorsque les affaires concernent les communes à régime linguistique spécial (communes à facilités) et la ville de Bruxelles, les deux sections doivent être réunies. Il n’y a guère de possibilité qu’une décision soit prise aux dépens de l’autre groupe linguistique. La Commission permanente de contrôle linguistique ne dispose que de compétences consultatives.

Depuis 1993, l’État a prévu pour les citoyens habitant des communes à facilités et la région de Bruxelles-Capitale la possibilité de se plaindre auprès de la CPCL à propos de la langue qu’emploient les services publics dans leurs relations avec les citoyens et le public. Cependant, la CPCL n’est pas compétente pour recevoir des plaintes concernant l’emploi des langues dans le domaine judiciaire.

De plus, la loi du 28 juin 1983, intitulée Loi portant l'organisation, la compétence et le fonctionnement de la Cour d'arbitrage, a institué une Cour d’arbitrage pour statuer sur les cas de violation des lois. La Cour d’Arbitrage peut annuler tout décret ou loi d’un parlement qui aurait outrepassé ses compétences. Cette loi a été modifiée en 1989 : 

 

Article 15

1) La Cour d'arbitrage statue, a titre préjudiciel, par saisie d'arrêts sur les questions relative à :

a) la violation par une loi ou par un décret des règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l'État, des Communautés et des Régions;

b) sans préjudice du a), tout conflit entre décrets communautaires ou entre décrets régionaux émanant de législateurs distincts et pour autant que le conflit résulte de leur champ d'application

 

Bien que les pouvoirs des parlements communautaires et régionaux soient assez bien définis, il peut arriver que l’un d’entre eux aille au-delà de ses compétences et empiète sur le champ d’action d’un autre parlement. Par exemple, le Parlement flamand aurait approuvé un décret portant règlement sur le service militaire; or, cette matière est de juridiction fédérale. Ou encore le Parlement de la Région wallonne aurait adopté un décret portant sur la protection des dunes en Flandre, ce qui, on le pense bien, relève de la juridiction du Parlement flamand. Dans de tels cas, l’État belge ou l’entité fédérée lésée, voire tout citoyen, pourrait déposer une plainte auprès de la Cour d’arbitrage. Les exemples cités risquent peu de se produire, car en pratique il s'agit souvent de problèmes plus complexes. Néanmoins, certains croient que les plaintes sont là pour «emmerder» l'autre communauté.

Selon l’article 1er de la loi, la Cour d'arbitrage statue, par voie d'arrêts, sur les causes introduites par le Conseil des ministres d'une Communauté ou d'une Région et qui tend à l’annulation, en tout ou en partie, d'une loi ou d'un décret en raison d’une violation des règles établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci, pour déterminer les compétences respectives de l'État des Communautés et des Régions. La Cour d'arbitrage est composée de douze membres : six membres d'expression française qui forment le groupe linguistique français de la Cour et six membres d'expression néerlandaise qui en constituent le groupe linguistique néerlandais. La Cour d’arbitrage compte deux présidents : un francophone et un néerlandophone, les deux occupant la fonction du président en titre en alternance.

Enfin, les lois linguistiques belges adoptées il y a plusieurs décennies laissent place aujourd’hui à beaucoup d’interprétation juridique et ont donné lieu à de nombreuses contestations, et ce, tant de la part des francophones que des néerlandophones. À la suite des nombreuses lacunes et imprécisions relevées dans la législation, l’application des lois a aussi engendré une gigantesque jurisprudence. La confusion semble s’être aggravée du fait que, au cours des dernières années, de nouvelles dispositions juridiques ont été introduites, notamment au sujet de la commune des Fourons. D’où l’utilité de la Cour d’arbitrage devenue la Cour constitutionnelle.

Malgré ses qualités indéniables, le système a aussi généré ses effets pervers. Ainsi, en autorisant la création des «communes à facilités», le système a montré ses limites, car il favorisait des cas d'exception à l'unilinguisme territorial au sein de communautés majoritaires qui n'en voulaient pas. Du côté des Flamands, les communes «à facilités» sont pour la plupart à majorité francophone et, lorsque ce ne l'est plus comme dans les Fourons, c’est en raison de l’arrivée massive de citoyens néerlandais (qui peuvent voter pour les élections communales). Par ailleurs, la Belgique nous donne le triste spectacle de deux majorités intolérantes qui interdisent à toute minorité d'exister, ce qui démontre, dans ses excès, qu'il est dangereux de laisser à la seule majorité de décider du sort de ses minorités. En Belgique, francophones et néerlandophones interdisent à leurs minorités respectives non seulement le droit à des services administratifs et judiciaires, mais au droit de voter pour les candidats de leur communauté. Le message adressé au reste du monde est presque désespérant. En ce sens, le fédéralisme belge mis en place en 1993 ne semble pas avoir permis aux Belges d'harmoniser leurs différences. Au final, ce système s'est révélé inapte à gérer la diversité, en fait, la simple dualité linguistique. Si les francophones et les néerlandophones sont incapables de gérer leurs différences linguistiques et culturelles qui, à l'échelle du monde, apparaissent peu signifiantes, il reste bien peu d'espoir aux États multiethniques aux prises avec des problèmes d'un tout autre ordre.  La seule différence avec beaucoup de régions multiculturelles dans le monde réside finalement dans le fait que le «compromis à la belge» a permis jusqu’ici que les différends ne se traitent pas avec les armes à la main.

 

Nous remercions M. Albert Stassen d'avoir accepté d'assurer une relecture commentée des différents chapitres consacrés à la Belgique et à ses composantes.

 

Lien : http://www.axl.cefan.ulaval.ca/europe/belgiqueetat_pol-lng.htm

 

 
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