AILLEURS DANS LA FRANCOPHONIE

Quand on parlait français au Minnesota

Auteur: 
Pierre Verrière, Radio-Canada

L'État du Minnesota a hébergé une importante communauté francophone dès sa fondation. Des Métis de la rivière Rouge et de nombreux immigrants du Québec à la recherche d'une vie meilleure sont venus s'y installer. Aujourd'hui, si la langue s'est perdue, l'héritage canadien-français de la région connaît une résurgence grâce, notamment, à un groupe de passionnés.
 
Le comté de Red Lake Falls dans le nord-ouest du Minnesota offre tout ce qu'on s'attend à trouver dans cet État du Midwest américain rural. Des champs à perte de vue longés par des routes tranquilles, des fermes bien entretenues et de petites communautés de fermiers éparpillées dans l'immensité du paysage. Pourtant, il suffit de s'attarder au nom des hameaux que l'on traverse pour qu'ils nous racontent l'histoire des lieux. Une histoire écrite en français.
 
Gentilly, Terrebonne, Huot, Roseau, St. Hilaire... Elle est longue, la liste de ces communautés fondées par des Canadiens français qui ont donné à leur communauté le nom des villes et villages qu'ils ont laissés derrière eux, en Nouvelle-France. La présence française au Minnesota comme dans les autres États du Midwest remonte bien avant la création de l'état.
 
Après tout, les fondateurs de Minneapolis et de Saint Paul furent des Métis canadiens-français qui ont ensuite formé les premières colonies de peuplement dans la vallée de la rivière Rouge quand la frontière entre le Canada et les États-Unis n'existait pas.
 
Cet héritage français se retrouve jusque sur le drapeau du Minnesota, le seul État américain dont la devise, «L'étoile du Nord», est inscrite en français, mais aussi dans la devise de Minneapolis, «En avant».
 
Le français, la langue de la maison
En plus d'y établir des communautés, les Français y ont aussi construit des églises et des écoles. Et lorsque le gouvernement de l'État du Minnesota ne permettait que l'enseignement de l'anglais, le français est alors devenu la langue que l'on parlait à la maison, dans les champs, dans les petits commerces et, bien sûr, dans les églises.
 
À Gentilly, l'église catholique Saint Peter, aujourd'hui inscrite aux monuments historiques, ne ressemble pas aux autres églises de la région construites souvent en bois. Et pour cause, cette église bâtie en 1914 en brique a longtemps été «l'église des Français» de la région, dont la plupart sont venus de Joliette, au Québec, pour s'installer dans les dernières décennies du 19e siècle.
 
À l'intérieur de l'édifice, les douze stations du chemin de croix ainsi que les vitraux portent des inscriptions uniquement en français. Pendant des décennies, la messe y a été dite en français.
 
«Le monde ne parlait que français dans le village même s'il y en avait qui pouvaient parler anglais un petit brin», se souvient Larry Vaudrin, aujourd'hui âgé de 87 ans. Il se souvient de son grand-père, Félix, venu à l'âge de 17 ans de Trois-Rivières avec ses parents. Après avoir été bûcheron, il a pu amasser assez d'argent pour acheter une terre et s'établir comme agriculteur.
 
«Mon grand-père Vaudrin est mort en 1974 et il n'a jamais parlé anglais». - Larry Vaudrin, résident de Red Lake Falls au Minnesota
 
Comme la plupart des gens de son âge dont les ancêtres sont originaires du Québec, Larry n'a appris l'anglais qu'une fois scolarisé.
 
«Quand j'ai commencé, je ne connaissais pas un mot d'anglais», raconte Larry, qui confie avoir oublié le français depuis, par manque de personnes avec qui le parler.
 
«Les vieux sont tous partis. Il y en a encore comme moi, mais quand on se retrouve, on parle en anglais.»
 
Dans l'annuaire local, Clarence Gagner se fait appeler «Frenchie». Même si les souvenirs de son enfance passée en français sont encore présents, il affiche fièrement un drapeau américain sur sa pelouse. Pourtant ses ancêtres sont tous enterrés au même endroit, dans le cimetière de la communauté de Terrebonne, où il a toujours vécu.
 
«Quatre-vingts pour cent des gens enterrés ici sont originaires du Canada», explique-t-il dans un français très hésitant. Il comprend en revanche encore la langue.
 
«Il ne faut pas penser que nous étions isolés», souligne Virgil Benoît, originaire de la région. Aujourd’hui âgé de 73 ans, ce professeur de français à l’Université du Dakota du Nord, à Grand Forks, se souvient lui aussi de l’époque où le français était une langue parlée partout dans les communautés du nord-ouest du Minnesota.
 
«Je me souviens qu'on pouvait passer des semaines à parler français parce qu’il y avait des voisins, de la parenté qui venait le dimanche. Nous étions chanceux qu’il y ait autant de monde pour parler.» - Virgil Benoit, professeur de français, Université du Dakota du Nord, Grand Forks
 
Aujourd’hui les familles sont éparpillées, et les nouvelles générations n’ont pas repris le flambeau. Pourtant, le souvenir des premiers «Canayens» continue de vivre et fait même l’objet d’un festival qui a eu lieu chaque année à la fin août, le festival Chautauqua.
 
L’idée du festival revient à Virgil Benoît et à l’Association des Français du Nord (AFRAN), qui l'ont lancé il y a 36 ans. Ils ont choisi le village de Huot et le site historique du Old Crossing Treaty Park où se rencontraient jadis les Indiens Chippewa et les trappeurs canadiens-français.
 
La mission que s’est donnée l’AFRAN, année après année est de faire découvrir et comprendre l’héritage historique français à travers l’art et les sciences humaines.
 
Et si vous demandez à Virgil Benoît ce qu’il reste si les gens ne parlent plus français dans la région, l’homme a une réponse toute trouvée.
 
«La langue est assez vivante pour que, même si on ne la parle plus, les gens savent que cela jouait un rôle important. Il y a un côté intime en chacun des gens qui vivent ici. Ils savent que la langue française a joué un rôle qu'il faut respecter.» - Virgil Benoit, professeur de français, Université du Dakota du Nord, Grand Forks