AILLEURS DANS LA FRANCOPHONIE
L'analphabétisme loin d'être marginal
(Québec) Des centaines de milliers de Québécois(es) sont considérés comme des analphabètes. Comment expliquer pareille situation? Comment certains parviennent-ils à s'en sortir et à améliorer leur sort? Des ressources existent pour aider à surmonter ce problème. Le Soleil s'est penché sur le sujet.
La Fondation pour l'alphabétisation célèbre cette année ses 25 ans et elle reste un pilier de la société québécoise puisqu'on dénombre un million d'adultes qui ont des problèmes sévères de lecture et d'écriture.
«La fondation entre dans sa 25e année et nous croyions que l'analphabétisme allait reculer quand tout ça a commencé», a relaté Diane Mockle, présidente de la Fondation. Pourtant, on chiffre encore à 49% le taux de Québécois âgés entre 16 et 65 ans éprouvant des difficultés importantes de lecture et 800 000 sont complètement analphabètes. «Ce n'est donc pas un problème marginal», souligne fortement la présidente, dans un entretien avec Le Soleil.
Le Québec arrive d'ailleurs au 10e rang des provinces canadiennes concernant l'analphabétisme.
«À ce jour nous avons aidé 107 000 adultes qui éprouvaient des difficultés.» À voir le nombre toujours croissant, mais inégal, Mme Mockle et son équipe veulent recentrer leur approche vers les jeunes enfants avec entre autres le programme «La lecture en cadeau» qui a permis de «faire entrer plus de 300 000 livres dans autant de familles québécoises» depuis 15 ans.
«L'alphabétisation est maintenant beaucoup plus large que l'éducation des adultes. Il faut s'y attarder toute la vie, et ce dès le berceau», souligne la présidente.
On ne parle plus directement d'analphabétisme, mais de niveau de littératie désormais, qui chiffre la capacité à lire et écrire d'un adulte. Cinq niveaux sont reconnus par le Centre canadien pour l'apprentissage. Un niveau - 1 a aussi été ajouté en 2013 puisque l'enquête précédente (de 2003) n'introduisait pas la notion d'informatique. Ceux-ci ne sont pas analphabètes, mais leurs lacunes dans ce domaine leur empêchent de gravir les échelons et même de décrocher un emploi.
L'analphabétisme va donc en grandissant et « il est clair qu'il existe des difficultés grandissantes à ajuster la formation aux exigences croissantes », affirme la présidente. « En 2003, le bagage nécessaire était beaucoup plus réduit qu'aujourd'hui. Ça vient mettre une difficulté supplémentaire », poursuit-elle. Cela pose donc une pression sur la formation qui devra maintenant aller plus loin.
Déjà, dans les cours donnés au Service de Formation en alphabétisation de Charlevoix, par exemple, les apprenants arrivent avec des questions sur le fonctionnement du paiement de facture. Le service de formation, coordonné par Isabelle Perreault, a d'ailleurs réussi à dénicher quelques ordinateurs portables.
«Les fermetures d'entreprises pèsent gros et le Québec en manque de main d'oeuvre qualifié ne peut se permettre de perdre des travailleurs. En ce moment, c'est difficile de la recycler, surtout au niveau du secteur manufacturier.»
Les pistes de solutions sont diverses, mais il devra y avoir une prise de conscience collective selon Mme Mockle.
Jacques Demers: au delà du modèle
Le sénateur et ancien entraîneur de hockey Jacques Demers, qui a annoncé publiquement son analphabétisme il y a quelques années, abonde dans le même sens.
«Il va arriver quoi à notre génération? Qui va prendre la relève? Ce sont ses jeunes qui vont sauver le Québec», soutient-il. «C'est à peu près temps d'y porter notre attention!»
« J'ai vécu avec ça toute ma vie, c'est un problème majeur. Je me suis ajusté, mais j'ai travaillé très fort pour ne pas être en arrière, surtout au Sénat », continue-t-il en entrevue au Soleil.
En exposant sa situation, le sénateur ne veut pas que les gens croient pouvoir tout réussir, sans éducation. «Je ne suis pas le meilleur exemple. J'ai été chanceux de faire tout ce que j'ai fait dans la vie», avoue-t-il. «La situation est beaucoup plus difficile pour ceux et celles que je rencontre durant mes conférences. Et il y en a assez de jeunes. Il faut les ramener.»
Bien présent dans le monde politique canadien, Jacques Demers croit encore que des pressions doivent être faites. «Il faut déclencher une attaque, les gouvernements doivent être au courant. Il faut se réveiller avant qu'il ne soit trop tard!»