AILLEURS DANS LA FRANCOPHONIE

Le français n’a plus d’«officiel» que le qualificatif

Auteur: 
Texte de Gérald Larose, professeur invité de l’UQAM, président de la Commission des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec, 2000-2001, paru dans Le Devoir

Sommes-nous perdus? Non! Mais à la condition de nous remettre à rêver…
 
Cent ans plus tard, la première ministre Wynne s’est excusée. Mais aujourd’hui, chez elle, l’assimilation galope à 43 %. L’abolition des écoles françaises en Ontario a été catastrophique. Harper aussi s’est excusé pour tous les torts infligés hier aux autochtones. Aujourd’hui, l’état de plusieurs communautés est gravissime. Des excuses ! Un baume ! Pour qui ? Aussi pour masquer les effets structurants et pérennes de décisions passées. 1982 alors ?

Cette année-là, Trudeau père est à la manoeuvre. Il va régler son compte au Québec, qui, cinq ans plus tôt, a promulgué la Charte de la langue française. Rapatriement, imposition d’une constitution, promulgation d’une charte canadienne, etc. S’enclenche donc une série d’actions unilatérales contre la volonté du Québec. Elles visent essentiellement à désapproprier son Assemblée nationale des pouvoirs exclusifs qu’elle détient en matière de langue et de culture, avec comme résultat que la loi 101 sera vidée de son essence. Depuis, le Québec voit tous ses indicateurs linguistiques rétrograder vers le passé. Finiront par venir des excuses… enfin… à la fin… si.

En 2000, le tableau n’est pas aussi sombre. Le gouvernement Bouchard décide néanmoins d’y voir clair. Il met sur pied une commission, celle des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec et il m’en confie la présidence. 26 jours d’audiences régionales, 272 mémoires, six colloques thématiques et un forum national n’ont pas eu raison du calendrier fixé et du budget alloué. Le 17 août 2001, les onze commissaires ont livré leurs constats et formulé 149 propositions.

En écho aux témoignages entendus et aux travaux des experts reçus, la Commission a adopté une approche holistique et stratégique : embrasser toutes les dimensions du sujet d’étude et les traiter en termes d’action. Le rapport porte tant sur la qualité de la langue que sur son statut, sur les prescripteurs que sur les locuteurs, sur la norme en usage au Québec que sur celle qui prévaut au niveau international, sur la francisation des lieux de travail que sur la recherche et la production terminologique, sur les contraintes de la mondialisation que sur les défis que posent les nouvelles technologies d’information, sur les mécanismes d’application de la Charte de la langue française que sur la responsabilité de tous les acteurs de la société en matière de francisation, sur le renforcement d’un certain nombre de dispositifs réglementaires que sur l’abolition de la possibilité d’achat de droits constitutionnels à travers la fréquentation d’écoles passerelles, sur la francophonie que sur la diversité linguistique et culturelle, etc.

Un changement de paradigme

Les deux premiers chapitres, le coeur du rapport, proposent de relancer le débat sur le français en changeant de paradigme : quitter l’approche ethnique imposée par l’appartenance du Québec à l’ensemble canadien et faire nation québécoise française en intégrant formellement le patrimoine linguistique pluriel du Québec. D’où la proposition d’établir une citoyenneté québécoise et d’y « constitutionnaliser » les principes fondateurs de la politique linguistique.

Explication. À son origine, la loi 101 était limpide. Elle faisait du Québec un territoire français dans sa langue des lois, des tribunaux, de l’administration, de l’enseignement, du travail, du commerce et des affaires. Elle avançait deux exceptions : l’anglais pour la communauté québécoise anglaise dans ses institutions ; de même pour les langues autochtones pour les Premières Nations et pour les Inuits dans leurs institutions.

La manoeuvre de Trudeau en 1982 a fait disparaître les articles prescripteurs du caractère collectif, territorial et national de la langue française pour ramener le Québec dans la logique linguistique bilingue du Canada et le refouler dans le champ essentiellement défensif de la guérilla entourant la francisation des lieux de travail. Consciente des limites juridiques objectives dans lesquelles elle oeuvrait, la Commission s’est ingéniée à trouver une voie de passage politique pour remettre le débat sur ses rails et renouer avec le plein sens du combat historique des Français d’Amérique. Plus précisément, la proposition d’établir la citoyenneté du Québec et d’y « constitutionnaliser » les droits linguistiques visait (et viserait toujours) à restaurer le caractère collectif, territorial et national du français au Québec. Là où Trudeau émasculait les droits linguistiques en les rabaissant à des attributs individuels, utilitaires et transportables, la proposition des États généraux restaurait leur statut collectif, territorial, social, culturel et national : un statut citoyen au sens fort du terme.

Landry a laissé filer l’occasion

Visiblement, la perche tendue n’a pas trouvé preneur. Le gouvernement de Bernard Landry a laissé filer l’occasion, non sans avoir par ailleurs légiféré sur les écoles passerelles (loi 104). Compter sur les libéraux eut été audacieux. Ils ont été fidèles à eux-mêmes en ne faisant rien, sauf défaire la loi 104 en légalisant l’achat de droits constitutionnels par la fréquentation des écoles passerelles. Et depuis le dépôt de notre rapport, en dépit des postures tantôt jovialistes, tantôt négationnistes, tantôt défaitistes des uns et des autres, la situation s’est dégradée sur l’ensemble des autres fronts. Nombre de recherches le documentent. Il est avéré que l’usage du français à la maison est en recul partout au Canada, y compris au Québec ; que les transferts linguistiques vers le français au Québec, qui, normalement, devraient être à la hauteur de 85 %, ne dépassent pas les 50 % ; qu’un niveau de bilinguisme minimal est vécu par 82 % des Montréalais et par 53 % de l’ensemble des Québécois ; que les gains du français à l’élémentaire et au secondaire des « enfants de la loi 101 » sont largement neutralisés par la croissance de la fréquentation des cégeps et des universités anglophones ; que l’étiquetage bilingue des produits est régulièrement pris en défaut ; que l’affichage des marques de commerce sans identification française sera bientôt béni par le gouvernement Couillard ; que le visage français de Montréal s’amenuise toujours plus ; que la population de langue maternelle française à Montréal est passée sous la barre de 50 %, etc., etc. La loi 101 avait fait vivre au Québec un itinéraire ascendant sur le plan de la francisation, de l’émancipation sociale et du rayonnement culturel. Depuis 1982, imperceptiblement au début, mais aujourd’hui avec évidence, le Québec français est sur une pente déclinante.

Pourquoi ? Parce que la Charte de la langue française, trudeauisée et désormais formatée par les multiples décisions de la Cour suprême, est devenue elle-même un agent de la bilinguisation institutionnelle du Québec. Toutes les lois et tous les règlements n’ont maintenant de valeur que s’ils sont édictés dans les deux langues. Les décisions des tribunaux sont rendues dans l’une ou l’autre langue, indistinctement même de celle du justiciable. Tous les répondeurs téléphoniques des établissements des appareils publics, péripublics et parapublics de l’État québécois accueillent avec le « english will follow ». Les personnes morales québécoises, entreprises ou associations, acheminent leurs demandes à l’État dans la langue de leur choix. Des personnes physiques, sans même appartenir à la communauté québécoise anglaise, communiquent en anglais avec l’État et ses organismes. Personne n’est obligé de s’adresser en français aux institutions publiques. En 2016, le français au Québec n’a d’officiel que le qualificatif. Il n’est plus la langue publique. Encore moins la langue commune. Quant à la langue citoyenne, rêvons !

La situation est-elle désespérée ?

Sommes-nous perdus ? Non ! Mais à la condition de nous remettre à rêver… sans nous laisser endormir et si nous pressons les autorités à prendre à nouveau des décisions, grandes et petites et structurantes pour la pérennisation du français au Québec. Lesquelles ? Quinze ans plus tard, notre rapport en contient qui sont toujours d’actualité.

Il nous faut d’abord retrouver collectivement notre assurance et notre aplomb et ne pas laisser le vieil atavisme colonial reprendre du service. Le Québec est une riche et originale « diversité » en Amérique du Nord et dans le monde. Il a la responsabilité d’inscrire dans la durée sa trajectoire. Et pour l’assumer, il doit en reconquérir le droit. De plus, dans un rapport de force de 2 % de locuteurs français dans un bassin nord-américain de 300 millions de locuteurs anglais, il doit impérativement compter sur son État pour réaliser ce mandat. Le contexte est difficile. Ceux qui le dirigent aujourd’hui en le discréditant systématiquement n’en ont que faire. Et quand le premier ministre lui-même conseille aux ouvriers d’apprendre l’anglais pour être en mesure de répondre aux questions d’éventuels patrons anglais, qu’il ne s’exprime qu’en anglais dans une conférence internationale, qu’il coupe 1,6 million de dollars dans les ressources des organismes responsables de l’application de la Charte, qu’il réduit l’offre de services de francisation pour offrir plutôt des cours d’anglais aux unilingues francophones maghrébins, qu’il réduit de 20 % le budget de la fête nationale, qu’il retire 500 000 $ à l’Observatoire de la culture, qu’il ferme sept antennes internationales du ministère des Relations internationales, qu’il saborde l’Association Québec-France, qu’il ne subventionne plus la Semaine du cinéma québécois à Paris, qu’il réduit son soutien des activités des Centres d’études sur le Québec établis partout dans le monde, qu’il n’a comme seul référent le modèle anglo-saxon canadien et américain, on ne s’étonnera pas de nous voir douter de la volonté politique ambiante de poser des gestes significatifs de défense et de promotion de la langue française. En lieu et place viendront sans doute quelques mesures cache-sexe pour voiler ce qui n’est plus montrable.

C’est la pression sociale animée par la société civile qui est le principal facteur d’intégration et de cohésion d’une nation, conditions de son développement et de son rayonnement. On doit à la société civile québécoise, relayée par des hommes et des femmes politiques partageant la conviction intime que les pouvoirs publics ont un rôle majeur à assumer, les acquis ascendants de la Révolution tranquille et de la loi 101 qui ont contribué au bien commun et à l’avancement de la société. Ils nous ont tirés par le haut. Les dirigeants actuels, porteurs de la révolution néolibérale permanente et de l’indifférence, voire de l’hostilité, à l’égard de l’avenir du français au Québec, nous tirent, eux, par le bas. Imbuvable !