AILLEURS DANS LA FRANCOPHONIE

Ottawa bilingue: le changement de ton des conseillers municipaux

Auteur: 
Sébastien Pierroz, spierroz@tfo.org | @sebpierroz

OTTAWA – Pendant des années, ils avaient donné l’impression de se ranger derrière la position du maire d’Ottawa. Le bilinguisme officiel à Ottawa, mieux valait attendre avant de se prononcer. Le projet de loi gouvernemental, déposé le mois dernier à Queen’s Park, et adoubé par Jim Watson, a manifestement changé la donne. Pour les conseillers francophones et francophiles de la Ville d’Ottawa, le bilinguisme officiel, c’est maintenant oui.

Bob Monette, maire suppléant, avait très longtemps semé le doute sur son engagement au bilinguisme officiel. Une neutralité? « Je suis surpris toutefois que vous indiquiez que je suis neutre », écrit le conseiller du quartier Orléans, dans un échange de courriels.

Un peu après, au téléphone, M. Monette précise sa pensée. « J’ai beaucoup de respect pour le bilinguisme, mais j’ai toujours dit que je voulais prendre le temps. Avec tous les dossiers ouverts devant nous, il est important de ne pas prendre des décisions avant d’avoir tous les éléments. »

Lors de notre grand sondage effectué auprès des 23 conseillers élus d’Ottawa l’an dernier, Stephen Blais se montrait aussi indécis. « Très bonne idée », affirme maintenant le conseiller du quartier Cumberland qui s’exprime bien en français. « Ma position n’a pas changé, je n’ai jamais été opposé. »

Dans son annexe 5, le projet de loi 177 intitulé Loi de 2017 pour un Ontario plus fort et plus juste, déposé à Queen’s Park le 14 novembre, est clair : « L’annexe modifie la Loi de 1999 sur la ville d’Ottawa. Elle reconnaît le caractère bilingue d’Ottawa et oblige la ville à adopter un règlement municipal instaurant le bilinguisme dans son administration et dans ses services. Elle précise qu’un règlement municipal que la ville d’Ottawa a adopté en matière de bilinguisme est bien ce règlement. »

Stephen Blais, dont le quartier est le plus « franco-ontarien » de la Ville, avoue n’avoir pas eu de pression. Et ce, malgré la présence de près de 40 % de francophones sur son territoire. « À vrai dire, on est venu me voir plus pour parler de la vitesse sur les routes et des services de pompiers. Nous possédons déjà une politique qui marche. »

Il y a un an, #ONfr avait eu toutes les difficultés à arracher un commentaire à Jean Cloutier sur le projet de bilinguisme officiel. «Avec des si, on mettrait Paris en bouteille», nous avait alors écrit l’élu franco-ontarien du quartier Alta Vista.

C’est cette fois-ci un Jean Cloutier enthousiaste qui nous parle du projet de loi. « J’ai toujours appuyé la politique de la Ville d’Ottawa, et donc j’appuie cette loi provinciale (…) Je suis Franco-Ontarien, et j’exige, pour ma part, toujours que les services soient donnés dans ma langue. »

Arrivé à la table des élus en 2014, M. Cloutier a pourtant un regret. « Ça serait mieux d’entendre plus le français dans les réunions des conseils municipaux et les comités. »

Fleury et Nussbaum, les déjà convaincus
Car si la politique de la Ville d’Ottawa s’apprête à être enchâssée dans une loi, certains ont dénoncé récemment « l’officialisation du statu quo », à commencer par le juriste Mark Power. La loi ne préciserait pas les services en français jugés acceptables.

Pour le conseiller municipal de Rideau-Vanier, Mathieu Fleury, l’amélioration des services en français appartient avant tout aux quelque 125 000 francophones d’Ottawa. « Il n’y avait pas de problèmes avec les services en français, mais plutôt des problèmes à les confirmer (…) Ce que nous ont dit les gens, c’était avant tout l’aspect symbolique qui devait compter. »

À la question, Ottawa sera-t-elle donc officiellement bilingue si le projet de loi est adopté, M. Fleury est sans ambages: « Oui. » L’élu de Rideau-Vanier est plus hésitant lorsqu’on l’interroge sur la réaction procurée par le projet à la table du conseil. « Les gens n’étaient pas tous informés… Et ils ne le sont pas encore tous. Les médias anglophones ont très peu parlé du projet de loi. »

Longtemps, M. Fleury a paru prêcher dans le désert à la table des élus. « C’est vrai que j’ai travaillé en coulisse. Après le peu d’appuis au conseil municipal, il nous fallait l’appui du pallier provincial. La députée Nathalie Des Rosiers était avocate, elle a forcé la discussion avec le gouvernement. »

Rare allié de M. Fleury avant le coup de pouce de Queen’s Park, Tobi Nussbaum. Durant la campagne des élections de 2014, ce dernier avait appuyé le bilinguisme officiel. Une fois élu dans Rideau-Rockcliffe, le nouveau conseiller a tenu parole: « C’est un exercice de stabilité et de certitude. Oui, c’est positif. »

Peu de changements, estiment les conseillers
S’ils ont mis du temps à accorder leur violon, les conseillers municipaux sont maintenant tous d’accord sur un point: la désignation bilingue de la capitale ne devrait pas changer grand-chose.

« En réalité, le changement important est plus au niveau symbolique », lâche M. Blais. « Avec la loi, on assure juste que dans le futur, la politique ne devrait pas changer », tranche Bob Monette.

Des propos dans la lignée du maire Jim Watson. Le premier magistrat continue d’affirmer qu’une loi provinciale modifierait peu de choses, « la Ville d’Ottawa étant déjà bilingue ».

Reste que la loi n’éteint pas certaines revendications des francophones. À l’instar d’un statut confirmant l’égalité de statut, de droits et de privilèges entre le français et l’anglais à la Ville d’Ottawa, une meilleure visibilité de la politique existante, une révision de celle-ci tous les cinq ans, la préparation de rapports sur la progression du français, ou encore la fin des dérogations pour l’embauche d’un unilingue anglophone à un poste désigné.

« Il y a toujours des améliorations possibles, notamment sur les services en français et les documents à traduire », précise M. Nussbaum avant d’ajouter. « Mais globalement, je suis satisfait. »

Le projet de loi devra encore passer la deuxième et troisième lecture à Queen’s Park. Il reste moins de quatre semaines pour qu’Ottawa devienne officiellement bilingue en 2017 comme le souhaitaient initialement les militants.