AILLEURS DANS LA FRANCOPHONIE

Paré à tout

Auteur: 
Louis Cornellier

Serait-ce que je vieillis? Il m’arrive souvent, en tout cas, de me sentir plus proche des plus vieux que des plus jeunes. En chanson, les Rivard, Séguin, Dufresne et Vigneault me semblent supérieurs aux jeunes loups. En journalisme, Foglia et les regrettés Bourgault et Courtemanche me manquent. Dans le débat d’idées, je trouve plus de justesse et de sagesse chez Bernard Émond et Guy Rocher que chez les nouveaux penseurs. En littérature, j’attends avec plus d’impatience le prochain essai d’André Major ou de Jean Larose que celui d’un jeune écrivain à la mode. Pourtant, à 48 ans, je ne suis pas si vieux que ça, je fréquente la jeunesse cégépienne au quotidien et je reconnais fréquemment la valeur des oeuvres des jeunes créateurs. Il n’empêche que, le plus souvent, je trouve les vieux meilleurs.
 
Cette prise de conscience m’a saisi en lisant Pièces d’identité (Leméac), de Jean Paré. Je n’ai jamais été un admirateur de ce journaliste qui a fondé et dirigé L’actualité pendant des décennies. Je le trouvais trop à droite et trop autoritaire dans sa façon d’exprimer ses idées. Or, voilà qu’à la lecture de ce gros carnet de presque 400 pages présenté par l’auteur comme un « banc d’essais », je me surprends à me trouver en terrain agréable. Qui a changé? Paré ou moi?
 
L’avantage de l’âge 
Le phénomène s’explique. Dans ce livre qui est une sorte de journal combinant des considérations autobiographiques et des réflexions sur quelques grands sujets (nature, culture, littérature, philosophie, musique, langue française, médias, religion et mort), Paré met de côté ses opinions sur la politique et sur l’économie. C’est une occasion de friction de moins entre nous.
 
Il y a plus. Le journaliste est aujourd’hui âgé de 82 ans. Or, l’avantage de l’âge, chez les gens d’esprit, c’est la culture, la liberté de pensée et la capacité qui s’ensuit de distinguer l’essentiel de l’accessoire. Rendu à un âge certain, on a eu le temps de lire et on n’a plus de position sociale à défendre, alors on peut y aller souverainement, sans faux-semblants, sans souci stratégique. C’est le cas, ici, de Jean Paré, avec pour résultat que ses Pièces d’identité ont un saisissant caractère de vérité.
 
Mécréant convaincu que « la laïcité est une nécessité absolue », Paré, même s’il est sans merci pour le cléricalisme québécois d’avant la Révolution tranquille, qu’il dénonce sans nuance, se défend d’être antireligieux. « Incroyant, écrit-il, je ne suis pas militant, sinon contre le cléricalisme. » S’il croit en quelque chose, malgré un scepticisme foncier, c’est au potentiel réflexif de la culture et à la richesse de la nature, qu’on ne sauvera pas avec des sermons écomoralisateurs, lance-t-il, mais en l’aimant, donc en la connaissant.
 
Le refus du relativisme 
Paré n’est pas tendre envers le collège classique, qu’il a fréquenté. Il en parle comme d’un lieu où régnait le vide intellectuel et où la seule philosophie proposée était une « prodigieuse logomachie ». Malgré tout, l’étudiant frustré est devenu un lecteur boulimique des classiques dont on l’a alors privé et un libre penseur, qui s’amuse aujourd’hui à critiquer férocement, à la manière de Jean-François Revel, tant la philosophie thomiste que l’oeuvre de Sartre. Si les collèges classiques étaient aussi nuls que Paré le dit, comment expliquer cet élan intellectuel que le journaliste partage avec bien des penseurs de sa génération et que l’école actuelle peine à transmettre?
 
Amateur de grande musique — sur une île déserte, il apporterait l’oeuvre de Beethoven —, sur laquelle il réfléchit avec éloquence, Paré se scandalise du relativisme culturel, de l’idéologie du « tout se vaut », qui règne à l’école et dans les médias. Il se livre d’ailleurs à une solide charge contre ces derniers. Les médias de l’image, déplore-t-il en s’inspirant de Marshall McLuhan, dont il fut le traducteur, ont transformé le citoyen en consommateur et ont fait « taire l’intelligence culturelle ».
 
Quand il parle de l’avenir du français au Québec, Paré semble dépassé. Il n’y a plus, contrairement à ce qu’il semble croire, de partisans sérieux d’une langue québécoise radicalement distincte du français, et l’idée que la qualité d’une langue assure sa survie est contredite par la réalité linguistique. L’anglais ne s’impose pas aux États-Unis parce que les Américains sont des locuteurs exemplaires. Aussi, ce n’est pas seulement en parlant et en écrivant bien le français que les Québécois le protégeront, mais en l’imposant dans tous les domaines de la société.
 
Qu’importe. On n’aimera pas ce livre dans le détail, pour ceci ou pour cela. On l’aimera en général, pour sa profondeur culturelle et pour sa sagesse vivante, donc imparfaite, mais libre.

« Mais je lis. Tout m’est livre de recettes : comment accommoder le monde où je suis tombé, ses ingrédients, les épices. Trouver des points de repère. Converser au-delà des âges, avec les disparus, pour s’opposer autant que pour opiner. Dialoguer sur tout ce qui me nourrit. Regarder le passé, le vide devant. »
Jean Paré dans «Pièces d’identité»