AILLEURS DANS LA FRANCOPHONIE

Un cours en anglais seulement à l'UQTR

Auteur: 
Olivier Gamelin, Le Nouvelliste

Do you speak English? Les étudiants intéressés par le projet pilote de l'Université du Québec à Trois-Rivières devront répondre positivement à cette question s'ils veulent s'inscrire à l'un des cours qui sera proposé en anglais seulement par le Département des sciences de la gestion. Le conseil d'administration de l'UQTR a en effet avalisé un projet pilote, d'une durée de trois ans, visant à baliser l'offre de cours dans la langue de Shakespeare. Une volonté qui n'est pas sans avoir suscité une certaine controverse linguistique dans l'enceinte de l'Université.
 
Depuis plus d'un an, le directeur du Département des sciences de la gestion, Saïd Zouiten, soutient ce projet à bout de bras.
 
«Notre département s'est donné comme objectif de développer l'internationalisation. Nous sommes déjà actifs sur la scène internationale, mais là nous voulions quelque chose d'un peu plus formel. Depuis trois ou quatre ans, nos partenariats se sont diversifiés. Nous avons des partenaires mexicains, brésiliens, chinois, des partenaires du Viêt Nam et, bien sûr, la langue qui nous réunit n'est pas le français.»
 
C'est donc pour s'adapter aux besoins des étudiants issus de ces collaborations internationales que l'UQTR a accepté l'idée, rarissime dans le réseau des universités du Québec, d'offrir des cours en langue anglaise. Les étudiants internationaux seront de prime abord approchés, puis les places vacantes ouvertes aux étudiants de l'UQTR. Un seuil minimal de quinze étudiants internationaux devra être atteint avant que les autres étudiants de l'UQTR puissent y être admis. «Autrement dit, on n'a pas le droit d'offrir ces cours uniquement aux étudiants de l'UQTR», souligne M. Zouiten.
 
Plusieurs conditions jalonnent ce projet pilote. Entre autres, l'offre de cours en anglais devra être une exigence sine qua non pour l'obtention ou le maintien d'une entente de partenariat avec des universités autres que canadiennes. Également, lesdits cours unilingues devront être limités à un seul groupe par sigle de cours. Ainsi, le Département des sciences de la gestion aura l'obligation d'assurer, durant le même trimestre, une offre de cours en français pour répondre aux besoins des étudiants inscrits à son programme d'études.
 
Dès la session d'hiver 2015, voire au mois de septembre de la même année si le nombre d'inscriptions est insuffisant, certains cours unilingues seront proposés d'emblée au baccalauréat, puis au premier cycle du doctorat, en outre les cours de principes de management, d'introduction au marketing et de comportement organisationnel.
 
Au terme des trois années que devrait durer le projet pilote, développé en lieu et place d'un règlement devant s'appliquer à l'ensemble de l'Université, l'UQTR pourrait, sur les recommandations de la Commission des études, étendre l'offre de cours en anglais à d'autres départements.
 
Le projet pilote de l'Université du Québec à Trois-Rivières d'offrir des cours en anglais seulement ne passe pas comme une lettre à la poste. 
 
«On ne l'a pas eu facile, soutient M. Zouiten, directeur du Département des sciences de la gestion et initiateur du projet pilote. Il y a eu de la résistance. Faire ça ou larguer une bombe à l'UQTR c'est la même chose, avec les mêmes effets. J'ai été le premier surpris. Comment se fait-il qu'en 2014 on ne soit pas encore en mesure d'offrir des cours en anglais? Encore aujourd'hui, les réactions sont nombreuses. La haute direction nous appuie à 100 %, mais quelques membres du Comité sur la politique linguistique de l'UQTR s'y sont opposés sous prétexte que la mission première de l'UQTR est d'offir des programmes en français.»
 
Un son de cloche entendu par le président de la Société Saint-Jean-Baptiste de la Mauricie.
 
«Au départ, l'UQTR est une université francophone. On a développé une renommée internationale là-dessus. En offrant des cours uniquement en anglais, on ouvre une porte qui sera difficile à refermer, on ouvre une porte dangereuse pour la question de l'identité. Si le projet pilote fonctionne et que l'UQTR l'applique ailleurs, l'université conservera-t-elle son identité francophone? J'ai beaucoup de difficulté avec ça. La nature publique de l'université fait en sorte qu'elle devrait valoriser la langue française et montrer que les universités francophones ont leur place. À chaud, j'ai tendance à me rebeller contre ce projet», s'inquiète Roger Kemp.
 
Le Syndicat de professeurs et des professeures de l'UQTR (SPPUQTR) se questionne également quant à la pertinence du projet pilote.
 
Dans son dernier bulletin interne d'information, le vice-président aux affaires universitaires, Ismaïl Biskri, a soulevé une série de questions qui, à son avis, devraient être approfondies avant «de plonger tête baissée dans une nouvelle course à la clientèle. Est-ce que la maîtrise de la langue anglaise deviendra pour certains cours un critère de sélection des chargés de cours? Est-ce que le personnel de soutien des départements devra être en mesure de répondre en anglais aux étudiants inscrits? Est-ce que suivre un cours en anglais est la meilleure façon d'améliorer les connaissances de cette langue?»
 
Jointe par téléphone, l'Association générale des étudiants de l'UQTR assure qu'elle suivra de près ce dossier. «Nous entrerons en contact avec les étudiants ayant choisi ces cours pour connaître leur opinion. Notre conseil d'administration, ou l'assemblée générale, sera ensuite saisi du dossier. Malgré le fait que la langue anglaise soit présente partout, nous demeurons une université francophone», évoque William Lamontagne, vice-président aux affaires académiques.
 
Selon l'article 7 de la politique linguistique de l'Université, «le français est la langue normale de l'enseignement. Une autre langue peut être utilisée pour des activités d'enseignement, conformément aux règlements et aux politiques en vigueur à l'UQTR, ou encore dans le cadre d'ententes de collaboration avec des institutions hors Québec.»
 
L'UQTR devient ainsi la deuxième université du réseau des universités publiques, après l'Université du Québec à Montréal, à avoir recours à l'anglais comme langue d'enseignement.