Vers une francophonie économique?

Vers une francophonie économique?

Auteur: 
Claude Lafleur, Le Devoir.com

En novembre se tiendra à Dakar, au Sénégal, le 15e Sommet des pays francophones. L’un des objectifs, s’il n’en tient qu’au Québec, sera de conférer à cet espace culturel un caractère économique. Ce faisant, Québec préconise que nos entreprises étendent leurs activités à l’ensemble des pays francophones, mais à condition de respecter de sévères règles d’éthique et de bonne gouvernance. Le ministre québécois des Relations internationales, de la Francophonie et du Commerce extérieur, Jean-François Lisée, explique.
 

«C’est tolérance zéro quant aux bris d’éthique pour les entreprises québécoises qui agissent au Sud,déclare Jean-François Lisée. Cela fait partie de cette réputation du Québec qu’on veut promouvoir : pragmatisme, efficacité et intégrité ! »
 
Car le Québec est l’un de ceux qui insistent beaucoup pour que le Sommet de Dakar développe une stratégie économique : « Il y a une réelle volonté, indique M. Lisée, pour faire de plus en plus d’économie. »
 
En pratique, il s’agira de convaincre les entreprises, tant celles du Sud que du Nord, qu’il existe un espace économique où on peut faire affaires en français. « Selon nous, la façon la plus simple d’entrer sur le marché international, c’est dans sa langue, poursuit M. Lisée. Notre stratégie économique, c’est de dire : ne pensez pas que de passer à l’anglais soit la chose la plus facile pour devenir des exportateurs mondiaux. Non. Commencez par faire des affaires avec les Québécois, les Français, les Belges, les Suisses et les Africains francophones pour ensuite conquérir le monde. »
 
Même en zone anglophone
 
À titre de ministre représentant le Québec à l’étranger, Jean-François Lisée se fait le ténor d’une présence beaucoup plus forte de nos entreprises en Afrique francophone.
 
« Mais j’insiste énormément pour que cela se fasse en appliquant une grande responsabilité sociale de la part des entrprises, dit-il. Cela veut dire : respect des droits des travailleurs, et que, dans la chaîne des approvisionnements, on s’assure que les droits des salariés soient respectés. Ça veut aussi dire : pas de travail pour les enfants et que les entreprises respectent toutes les normes édictées par les organisations internationales du travail. »
 
D’autre part, il estime que nos entreprises ont beaucoup à offrir en matière de solutions et de technologies vertes. « Au Québec, nous sommes en avant du peloton — certainement en Amérique du Nord — en matière de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre, dans la transformation verte de nos entreprises, alors que nous venons d’ajouter l’électrification des transports », fait-il remarquer.
 
Nos entreprises ont en outre un rôle à jouer dans l’utilisation du français dans l‘économie internationale. M. Lisée cite l’exemple de Benoît La Salle, fondateur de SEMAFO qui mène des activités aurifères en Afrique. « Son entreprise minière opère entièrement en français en Afrique francophone, précise M. Lisée. Voilà qui ne va pas de soi, puisque là-bas, les minières proviennent d’Afrique du Sud et du Canada, et donc tout se fait en anglais. »
 
Or, SEMAFO étant une entreprise québécoise, elle y travaille en français ; ses cadres sont francophones et elle embauche des salariés locaux qui travaillent en français. « Tant qu’on ne voit pas ça, on ne sait pas que c’est possible », constate avec satisfaction le ministre.
 
Tolérance zéro !
 
Pour Jean-François Lisée, les questions éthiques sont très importantes, « puisque nous voulons avoir une réputation d’intégrité, dit-il. Et c’est pourquoi, depuis que je suis ministre des Relations internationales, toute entreprise qui n’a pas son certificat d’intégrité de l’AMF ne peut participer à nos missions commerciales à l’étranger. »
 
Pour lui, les entreprises doivent appliquer de bonnes pratiques d’affaires ailleurs comme au Québec. « Ces bonnes pratiques sont éthiques et à la fois prennent en compte le développement durable, comme on le fait ici », précise-t-il.
 
« Et j’ai bien dit aux entreprises : si vous êtes reconnues coupables d’un bris d’éthique dans un pays étranger, vous perdrez votre certificat d’intégrité au Québec, lance M. Lisée. Ça fait partie de la volonté de notre gouvernement d’être sans merci pour la corruption et la collusion, et ça se reflète à l’international aussi. »
 
Le ministre constate en outre que l’un de nos grands atouts à l’étranger, c’est le fait que nos entreprises sont considérées comme étant de grande qualité, pragmatiques et, surtout, non arrogantes. « Souvent, on me dit : “Nous connaissons d’autres pays qui sont très arrogants. Mais vous, vous avez un élément de convivialité et de dialogue.” Voilà qui m’est très cher, et je tiens à ce que l’intégrité fasse partie de notre réputation internationale. »
 
La charte ? Pas un problème !
 
Quant au débat sur la charte de la laïcité qui secoue le Québec, pour le ministre des Relations internationales, ce n’est vraiment pas un problème. « Lors de mes voyages, dit-il, je rencontre quantité d’investisseurs, de gens qui font du commerce et, bien sûr, plein de responsables politiques… Or, la charte, pour eux, n’est nullement une préoccupation. »
 
« Si à Toronto, on trouve épouvantable de se demander comment on doit gérer le lien entre l’État et la religion, partout ailleurs, on a ce débat-là, observe M. Lisée. Même dans les pays musulmans, on débat de la place des signes religieux dans la fonction publique. Donc, pour tout le monde, ce n’est pas une nouveauté. »
 
Ce qu’on observe par contre, poursuit-il, c’est le fait que depuis le dépôt du projet sur la charte, « le nombre de demandes d’immigration au Québec provenant de pays d’Afrique du Nord [donc musulmans] a augmenté de 79 % ! »