AILLEURS DANS LA FRANCOPHONIE
Une course à trois pour Michaëlle Jean
Source : JOCELYN COULON, Directeur du Réseau de recherche sur les opérations de paix, affilié au CERIUM de l'Université de Montréal, il collabore régulièrement à La Presse Débats.
La Presse
À Dakar, au Sénégal, dans exactement un mois, les membres de la francophonie se choisiront un nouveau secrétaire général qui succédera à Abdou Diouf. Trois candidats se détachent du lot: Michaëlle Jean, l'ancienne gouverneure générale du Canada, Pierre Buyoya, l'ancien président du Burundi, et Jean Claude de l'Estrac, l'ancien ministre des Affaires étrangères de la République de Maurice.
Michaëlle Jean est la favorite. Du moins, c'est la rumeur, savamment propagée par son entourage dans les médias et sur les blogues. Mme Jean a travaillé sans relâche depuis un an afin de promouvoir sa candidature auprès de plusieurs chefs d'État, particulièrement africains, car c'est en Afrique que l'élection va se jouer, là où l'OIF compte 30 de ses 57 membres votants.
Or, la semaine dernière, un coup de tonnerre est venu assombrir la campagne de Michaëlle Jean et redonner un peu de vie à celles des deux autres candidats. Le prestigieux hebdomadaire Jeune Afrique a pris fait et cause pour l'élection d'un Africain à la tête de l'OIF. Sans jamais mentionner directement la candidature de la Canadienne, le magazine estime que ce poste doit échoir à une personnalité du continent pour des raisons historiques, démographiques et politiques.
L'OIF est née en 1970 en Afrique et, dans quelques années, l'espace francophone du continent représentera l'avenir démographique de la francophonie. Aussi, et ce n'est pas négligeable, si le secrétariat général de l'OIF leur échappe, les Africains perdront du coup les rênes d'une des rares organisations internationales qu'ils dirigent.
Quel que soit le gagnant, il devra affronter de sérieux défis. L'OIF traverse une période de turbulences qui devrait durer longtemps. Le budget général de l'organisation stagne alors que les contributions volontaires des États baissent depuis cinq ans, particulièrement celles qui proviennent de la France, le premier bailleur de fonds. Or, les trois candidats en lice ont de grandes ambitions pour l'OIF et veulent même lui greffer un mandat économique dont on ne voit pas clairement la valeur ajoutée par rapport à ce que font d'autres organisations.
De plus, le mandat de l'OIF n'est pas seulement de promouvoir le français, la culture et l'État de droit, d'intensifier le rapprochement des cultures ou de favoriser l'accès aux technologies du numérique. C'est aussi, et de plus en plus, un mandat tourné vers la promotion de la paix, la sécurité et la démocratie. Or, dans ce registre, l'espace francophone, particulièrement en Afrique, est une zone sinistrée. Outre Haïti et le Liban qui accueillent des missions de paix de l'ONU, 11 des 24 pays africains francophones sont en crise, en sortie de crise ou aux prises avec une insurrection militaire ou une problématique terroriste.
L'Égypte, autre membre de la francophonie, est aux mains d'une junte militaire frauduleusement élue qui étouffe jour après jour la démocratie. Plusieurs chefs d'État, dont ceux du Burkina Faso, des deux Congos, du Burundi et du Rwanda, songent activement à modifier la Constitution de leur pays afin de se perpétuer au pouvoir. Pour le président burkinabé, 27 ans au pouvoir, ce n'est pas suffisant pour «construire dans la durée».
Les candidats ont-ils quelque chose à dire de concret sur ces problèmes qui occupent le temps et l'énergie du secrétariat général? Il n'y a pratiquement rien là-dessus sur leurs sites web et dans leurs entrevues à Jeune Afrique et d'autres médias.
La course est donc entrée dans la dernière étape. Michaëlle Jean a de nombreux atouts, dont sa sensibilité pour les femmes et les jeunes. Pierre Buyoya et Jean Claude de l'Estrac ont une solide expérience du pouvoir et des arbitrages nécessaires pour diriger, ainsi qu'une connaissance des enjeux africains. Les dirigeants des pays membres de l'OIF auront bientôt à trancher.