AILLEURS DANS LA FRANCOPHONIE
Rogersville: des efforts pour vivre en français
Des craintes d’une anglicisation sournoise ont été soulevées à Rogersville, malgré le fait que plus de 90 % des affiches sont françaises ou bilingues.
Des affiches d’heures d’ouverture unilingue anglophone font jaser à Rogersville. Plusieurs citoyens estiment cependant qu’elles ne sont pas représentatives du paysage linguistique du village, où plus de 90 % des enseignes sont francophones ou bilingues.
Une lettre d’opinion du lecteur publié dans les pages de l’Acadie Nouvelle a fait réagir à Rogersville cette semaine.
Dans sa lettre, intitulée «Rogersville ne fait pas exception», Alcide F. LeBlanc raconte que lors d’un récent passage au village, il a remarqué que certains commerces préconisent «de plus en plus la langue autre que la nôtre». Il souligne l’exemple d’une entreprise qui affiche les jours d’ouverture en anglais.
Cette lettre, l’une des plus lues sur le site web du journal au cours des dernières années, a suscité plusieurs commentaires sur les médias sociaux. Une autre lettre portant sur le même sujet est d’ailleurs publiée aujourd’hui.
L’Acadie Nouvelle s’est rendu sur place pour faire l’état des lieux.
En conduisant dans le village d’un peu moins de 1200 habitants, situé du sud de Miramichi, on se rend compte rapidement qu’on se retrouve dans une municipalité francophone. La langue de Molière occupe une place importante dans le paysage linguistique avec des noms de commerce comme Le Chaudron acadien, Chez Freda, Restaurant Le Gallant et Studio Noëlla McGraw.
D’autres affichent leur nom dans les deux langues officielles. C’est notamment le cas de M. Tomate/Mr Tomato, l’entreprise du nouveau député fédéral de Miramichi-Grand Lake, Patrice Finnigan. Quelques entreprises ont des noms d’entreprises anglophones, comme Decker Boy et Home Hardware, mais ce sont des marques de commerce de chaînes établies ailleurs dans la province et dans le pays.
La maire de Rogersville, Pierrette Robichaud, ne croyait pas que le caractère francophone de son village pourrait être remis en question avant qu’elle ne tombe sur la lettre de M. LeBlanc.
«S’il y a de l’affichage unilingue anglophone, ça nous concerne. Mais on ne pensait pas que c’était un problème. N’empêche que ça va peut-être nous faire regarder de nouveau afin de sensibiliser les propriétaires de commerce pour que leurs affiches soient au moins bilingues.»
En 2015, l’administration du Village a mené une étude sur l’état de son paysage linguistique. Les employés de la municipalité ont répertorié 62 affiches. Cinquante-sept sont bilingues ou unilingues francophones.
Selon Mme Robichaud, le village s’est même francisé au cours des dernières années. Des rencontres sur l’importance de l’affichage bilingue ont été organisées pour les membres de la chambre de commerce locale. De plus, des entreprises ont participé au programme de l’Association francophone des municipalités du Nouvau-Brunswick (AFMNB) afin de recevoir du financement pour franciser leur affiche.
Le restaurant Decker Boy a ainsi remplacé une affiche anglaise par une affiche bilingue, le Foyer Claire s’est procuré une enseigne dans les deux langues officielles et Blanchard Auto Body est devenu Bourque Débosselage.
Mentionnons que dans sa lettre d’opinion du lecteur, M. LeBlanc ne dessine pas un portrait de flagrante anglicisation à Rogersville. Il décrit plutôt un processus d’anglicisation sournois, qui a lieu sans que les résidants s’en rendent compte.
Parmi une dizaine de commerces examinés par l’Acadie Nouvelle, environ la moitié ont des affiches d’heures d’ouverture en anglais seulement.
Une employée de M. Tomate explique: quand des employés du commerce se sont rendus au Costco à Moncton pour acheter son enseigne d’heures d’ouverture, il n’y avait pas d’affiche française en stock. Ils se sont tout de même assurés d’attacher une enseigne «Ouvert» en néon au-dessus de celle portant sur les heures d’ouverture pour s’assurer de présenter une image bilingue.
Elle souligne que plusieurs entreprises dépendent de clients anglophones qui passent par Rogersville pour se rendre de Moncton à Miramichi et vice-versa. Les affiches bilingues sont ainsi souvent préférées aux affiches unilingues francophones.
Frédérick Dion, directeur général de l’AFMNB, explique que les affiches secondaires et temporaires se situent dans une zone grise des lois et des politiques sur l’affichage.
«Je regarde la loi 101 (au Québec), par exemple: on parle essentiellement des affiches principales. À l’intérieur des commerces ou pour les affiches temporaires, c’est plus difficile», explique-t-il, ajoutant que les améliorations à ce niveau passent souvent par la sensibilisation des commerçants.
Pour sa part, Mme Robichaud admet qu’en habitant dans la municipalité, elle s’est peut-être habituée à certaines affiches anglophones secondaires ou temporaires au point où elle ne les remarque plus. Elle a l’intention de se pencher sur la question, en collaboration avec la chambre de commerce locale.