AILLEURS DANS LA FRANCOPHONIE
La bouillie pour les chats
Il vaut mieux avoir une mauvaise excuse que pas d’excuse du tout, dit un proverbe anglais, mais il y a des excuses qui sont encore plus mauvaises que d’autres.
Le ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes et de la Francophonie, Jean-Marc Fournier, en a donné un bel exemple lundi quand il a tenté d’expliquer pourquoi le gouvernement Couillard s’oppose à ce que les organismes fédéraux et les entreprises à charte fédérale qui opèrent sur le territoire québécois, comme les banques ou les entreprises de télécommunication, soient assujettis aux dispositions de la loi 101.
Selon lui, cela pourrait avoir des conséquences négatives pour les francophones hors Québec en amenant les autres provinces à diminuer les services qu’elles leur offrent en guise de représailles. À l’entendre, priver des Québécois du droit de travailler en français s’inscrit dans une prétendue « diplomatie de la francophonie » qu’un devoir de solidarité nous impose. Pour rester dans les limites de la bienséance, disons simplement que c’est de la bouillie pour les chats.
Curieusement, le gouvernement Couillard n’avait pas démontré la même sollicitude pour les francophones du Yukon, qui voulaient qu’on autorise des descendants de francophones ou des immigrants francophones à fréquenter l’école française, même si les dispositions de la Charte canadienne des droits les rendent inadmissibles, afin de rassembler un nombre d’élèves suffisant pour justifier le maintien d’une école. Quand l’affaire s’est retrouvée devant la Cour suprême, en janvier denier, le Québec s’est rangé derrière le gouvernement du Yukon. Il s’agissait pourtant d’une question vitale pour cette petite communauté soeur.
« Plus il y aura de français au Canada, plus le français au Québec se portera bien », a lancé M. Fournier à l’Assemblée nationale mercredi. S’il avait fallu que le Québec lie aussi étroitement son sort à celui des francophones du ROC dans le passé, où en serait le français de nos jours ?
Il est difficile de croire que le NPD, qui a certainement plus d’antennes au Canada anglais que M. Fournier, aurait proposé d’appliquer la loi 101 aux entreprises à charte fédérale s’il avait pensé que cela provoquerait la levée de boucliers qu’appréhende le ministre.
En réalité, c’est bien davantage le mécontentement de sa clientèle anglophone que semble craindre le gouvernement Couillard. Dans une entrevue accordée au Devoir durant la campagne électorale, Jean Charest avait causé une certaine surprise en se montrant favorable à l’extension de la loi 101 aux entreprises relevant de la compétence fédérale, mais il avait rapidement changé d’avis quand l’ancienne députée fédérale de Notre-Dame-de-Grâce-Lachine, Marlene Jennings, avait déclaré que cela pourrait donner aux anglophones une bonne raison de voter pour la CAQ. Le problème est que François Legault est maintenant d’accord avec cette proposition.
À moins qu’on ne craigne tout simplement la fin de non recevoir que ne manquerait pas d’opposer le gouvernement Harper, tout comme le ferait Justin Trudeau, qui s’oppose tout aussi catégoriquement à l’idée.
En réalité, l’entreprise n’est peut-être pas si osée dans le cas des 1760 entreprises privées relevant de la compétence fédérale, qui emploient 135 000 employés au Québec. En 2007, dans l’arrêtBanque canadienne de l’Ouest, la Cour suprême avait statué que ces entreprises devaient respecter les lois provinciales « valides », c’est-à-dire celles qui sont adoptées par les provinces dans champs de compétence que leur reconnaît la constitution, à la condition que cela n’ait pas d’effet contraignant sur leurs activités, au-delà d’un simple inconvénient administratif et financier.
Sur la base de cet arrêt, deux juristes de l’Université d’Ottawa dont Le Devoir avait publié l’analyse en avril 2014 concluaient que les dispositions de la loi 101 pourraient difficilement être jugées trop contraignantes au sens de la jurisprudence canadienne. D’ailleurs, M. Fournier a lui-même reconnu que de nombreuses entreprises à charte fédérale ont volontairement choisi de s’y conformer.
Selon un rapport fédéral publié l’année précédente, à la différence des organismes fédéraux proprement dits, il ne serait pas nécessaire de modifier la Loi sur les langues officielles ou le Code canadien du travail, ce qui serait difficilement imaginable.
Bien entendu, rien ne se fera si le gouvernement Couillard ne demande rien, et il n’en sera certainement pas fait mention dans la liste de priorités que le premier ministre adressera aux chefs des différents partis fédéraux lors de la prochaine campagne électorale. Depuis une semaine, M. Fournier et lui-même répètent à satiété que le français se porte admirablement bien au Québec. Alors pourquoi s’en faire, n’est-ce pas ?