AILLEURS DANS LA FRANCOPHONIE

Peut-on travailler sans parler anglais?

Auteur: 
Le Monde.fr, par Flichy Grangé (Avocat)

Vingt ans après l’adoption de la loi Toubon qui a désigné la langue française comme la langue du travail et a complété en conséquence le code du travail sur ce thème, un grand nombre d’entreprises continuent à communiquer en anglais avec leurs collaborateurs, soit parce qu’elles relèvent de groupes multinationaux, soit parce que leur activité est transnationale.
Le code du travail n’empêche effectivement pas l’usage d’une langue étrangère au travail ; il prescrit néanmoins l’emploi du français pour certains types d’informations délivrées par écrit au salarié.
En principe, les documents structurants pour le salarié doivent être rédigés en français. Parmi les documents qui doivent nécessairement être rédigés en français, figurent : les offres d’emploi; les conventions et accords collectifs de travail; le contrat de travail, dont le salarié étranger peut exiger une traduction dans la langue de son pays; le règlement intérieur, qui peut être accompagné d’une traduction en plusieurs langues étrangères; et enfin, plus généralement, tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l'exécution de son travail. Ainsi, en va-t-il par exemple des manuels d’hygiène et de sécurité, des documents techniques et des logiciels informatiques nécessaires à l’exécution du travail ou des documents fixant les objectifs nécessaires à la détermination de la rémunération variable contractuelle.
A défaut d’être établis en français, ces documents seraient inopposables au salarié dans les clauses qui lui font grief, peu importe que le salarié maîtrise totalement la langue étrangère utilisée. L’employeur peut, par ailleurs, être contraint en justice, sous astreinte, d’établir une traduction des documents litigieux.

Les exceptions admises
Des exceptions sont néanmoins admises par les textes et la Cour de cassation: par exception, le Code du travail prévoit que l’établissement en français ne s’impose pas conernant les documents comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l'exécution de son travail, s’ils sont reçus de l'étranger ou destinés à des salariés étrangers.
La Cour de cassation a aussi admis, dans une affaire qui concernait les manuels de navigation des pilotes d’Air France, que « sont soustraits à cette obligation les documents liés à l'activité de l'entreprise de transport aérien dont le caractère international implique l'utilisation d'une langue commune, et dès lors que, pour garantir la sécurité des vols, il est exigé des utilisateurs, comme condition d'exercice de leurs fonctions, qu'ils soient aptes à lire et comprendre des documents techniques rédigés en langue anglaise ».
Cet arrêt, probablement favorisé par la récente jurisprudence communautaire sur la liberté de circulation des travailleurs, semble ouvrir une brèche pour admettre d’autres exceptions au principe dès lors que la dimension transnationale de l’entreprise le justifierait, au regard de son activité ou de son implantation.
De telles exceptions permettraient de rester cohérent avec la réalité de certaines fonctions, notamment d’encadrement, pour lesquelles la maîtrise de l’anglais ou d’une autre langue étrangère constitue souvent une exigence opérationnelle.
Jeannie Crédoz-Rosier (avocat associée, Flichy Grangé Avocats)
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