AILLEURS DANS LA FRANCOPHONIE
Affichage commercial: in english svp
La grogne linguistique s’amplifie depuis 18 mois chez les anglo-Montréalais. Un petit groupe a lancé une offensive auprès de dizaines de commerçants pour les convaincre d’accorder plus de place à l’anglais, tandis que 6000 personnes ont signé une pétition qui propose d’abolir l’Office québécois de la langue française (OQLF).
C’est Ruth Kovac, conseillère municipale de Côte-Saint-Luc, et Harold Staviss, un avocat de Hampstead, qui ont lancé cette campagne auprès des marchands l’an dernier. « Je ne suis pas ici pour changer la loi 101, je la comprends pleinement, mais ce qui me stupéfie est l’absence de respect », a fait valoir Mme Kovac à La Presse.
La conseillère dit avoir communiqué avec près d’une quarantaine d’entreprises à ce jour – dont Cineplex, McDonald’s, Costco, Toys R Us et Canadian Tire – en vue de les « sensibiliser » à cet enjeu. Elle espère les convaincre d’implanter des écriteaux bilingues et d’envoyer des circulaires bilingues dans les secteurs majoritairement anglophones, en plus d’offrir des formulaires en anglais dans leurs magasins.
« La Baie, par exemple, a des origines britanniques, et on n’y trouve aucun signe en anglais ! C’est un manque de respect, et cela va à l’encontre du bon sens des affaires. » — Ruth Kovac, conseillère municipale de Côte-Saint-Luc
Au moins une douzaine de commerçants auraient choisi d’adopter des affichages bilingues à Montréal au cours de la dernière année et demie, selon Ruth Kovac. Cineplex Entertainment, par exemple, a commencé à implanter de tels écriteaux dans 9 de ses 14 cinémas du Grand Montréal, notamment à Laval, à Brossard et au centre-ville. À terme, plus de 1000 écriteaux seront modifiés, comme le menu des comptoirs alimentaires.
C’est à la demande de clients que Cineplex a déclenché cette démarche, quelques mois avant les premiers courriels de Ruth Kovac et Harold Staviss, a précisé hier Pat Marshall, vice-présidente aux communications. « Nous avons pris le temps de faire un audit de nos cinémas et d’identifier une longue liste de choses que nous pourrions changer. Ces changements visaient à ajouter de l’anglais dans ces cinémas en vue de mieux servir nos clients, tout en respectant les lois du Québec. »
Chez McDonald’s, une douzaine de restaurants offrent des menus bilingues depuis l’installation de tableaux numériques, il y a un peu plus d’un an. Ce changement permet aux franchisés « de répondre aux préférences linguistiques de leur communauté locale », a indiqué Lisa Hutniak, directrice des communications externes. Elle n’a pas précisé si les démarches entamées par Ruth Kovac avaient joué un rôle dans cette démarche.
Certaines entreprises refusent toutefois de céder aux pressions. C’est le cas d’Imperial Oil (Esso), qui n’entend pas rendre les affichages bilingues dans ses stations-service montréalaises. « On utilise surtout des images pour les consignes de sécurité, lesquelles respectent les normes canadiennes », a résumé la porte-parole Killeen Kelly, jointe à Calgary.
Ruth Kovac mène sa campagne de façon très ouverte et écrit même aux marchands avec son adresse de courriel de la ville défusionnée de Côte-Saint-Luc. Elle envoie aussi tous ses échanges en copie conforme au journal anglophone The Suburban, une pratique que certains commerçants assimilent à une forme d’intimidation voilée.
La conseillère s’en défend et assure que son maire est d’accord avec l’utilisation de son courriel de la Ville.
« Je veux que les gens sachent que je représente une vaste communauté, que je suis sérieuse et que je ne suis pas une idiote qui n’a rien de mieux à faire de ses journées. » — Ruth Kovac, conseillère municipale de Côte-Saint-Luc
Son collaborateur Harold Staviss défend aussi leurs façons de faire. « Peut-être qu’ils peuvent le prendre comme une menace, mais ce n’est pas une menace, c’est juste une suggestion. »
Ruth Kovac estime que l’économie montréalaise pâtit de l’application trop stricte de la Charte de la langue française. La conseillère municipale croit que le budget de l’Office – 24 millions cette année – constitue du « gaspillage » et serait mieux utilisé à d’autres fins.
Gary Shapiro, président de l’Office québécois de la langue anglaise et l’un des instigateurs de la pétition contre l’OQLF, propose en parallèle de doter Montréal d’un « statut spécial ». Cela permettrait d’isoler la métropole du « débat fatigant sur la langue et de l’incessante menace de séparation », a-t-il écrit dans une lettre ouverte récente à The Gazette.
Murray Levine, l’autre instigateur de la pétition, n’a pas rappelé La Presse. Il s’est fait connaître en 2013 pour avoir lancé un appel au boycottage du centre commercial Fairview Pointe-Claire, qui ne faisait, selon lui, pas assez de place à l’affichage en anglais.
L’OQLF a refusé de commenter cette pétition et les démarches menées auprès des commerçants. Éric Bouchard, directeur général du Mouvement Québec français, a pour sa part présenté une série de statistiques dans le but de démontrer la précarité du français dans la métropole. « Il n’y a pas une étude sérieuse en ce moment qui dit que le français va bien à Montréal », a-t-il souligné.
Selon les données les plus récentes de Statistique Canada, la proportion de gens qui parlent uniquement français à la maison est passée de 62,4 % en 2001 à 59,8 % en 2006, puis à 56,5 % en 2011, dans la région de Montréal. La proportion de gens qui s’expriment seulement en anglais à leur domicile a elle aussi reculé entre 2006 et 2011, passant de 10,8 % à 9,9 %.
Montréal n’est plus « que l’ombre de ce qu’elle était » depuis l’adoption des premières lois visant à protéger le français, selon une pétition mise en ligne sur le site Moveon.org. La pétition adressée au premier ministre Philippe Couillard, qui demande l’abolition de l’Office québécois de la langue française (OQLF), était rendue à presque 6000 signatures hier, sur un objectif de 7500. Voici quelques commentaires des signataires :
- « [Ces lois] ÉTAIENT nécessaires. La situation est maintenant à l’exact opposé, et c’est l’anglais qui a besoin de protection. »
- « Gaspillage absolu de l’argent des contribuables. »
- « Je prévois quitter la province très bientôt. J’en ai eu assez. »
- « Faisons-le et débarrassons-nous de ces idiots, qui ruinent l’économie du Québec. »
- « Cet Office viole les droits de tous les Anglo-Québécois. »