Régression de l’usage du français dans les institutions internationales

Régression de l’usage du français dans les institutions internationales

Auteur: 
Le Courrier parlementaire©, le mardi 28 octobre 2014

Alors qu’un déclin de l’usage de la langue française dans les institutions internationales s’observe, l’Organisation internationale de la francophonie place de l’espoir notamment dans un accroissement du nombre de francophones sur le continent africain. Si l’organisation porte son regard sur l’Afrique, le progrès et la pérennité de la langue française dépendent aussi de divers facteurs, comme la scolarisation des jeunes.
 
Administrateur de cette organisation, Clément Duhaime est responsable de la coopération intergouvernementale multilatérale, ainsi que la gestion des affaires administratives et financières. Entré en poste en 2006, il en est à son troisième mandat, dont la date d’échéance est 2018. Récemment de passage à Montréal, dans le cadre d’une Conférence internationale sur l’avenir des médias francophones, le numéro deux de l’OIF a échangé avec Le Courrier parlementaire© et L’Actualité gouvernementale© sur les enjeux auxquels est confrontée la francophonie et l’organisation internationale regroupant 77 États et gouvernements.
 
Déclin dans les institutions 
«On le voit bien, depuis 5-6 ans surtout, il y a une perte considérable de l’usage du français dans les institutions internationales où pourtant le français est toujours langue officielle, langue de travail». Le prochain rapport quadriennal de l’Observatoire de la langue française, dont la parution est prévue la semaine prochaine, «va confirmer malheureusement cette tendance». Cette régression de l’usage du français s’observe autant à Bruxelles, siège de l’Union européenne qu’à New, York, siège de l’ONU, mais aussi maintenant au sein de l’Union africaine, fait remarquer M. Duhaime. Dans l’UE, l’intégration des pays d’Europe centrale et orientale, ainsi que des pays nordiques, a eu une influence, explique-t-il.
 
Si les membres de l’OIF «n’exigent pas le respect de la langue française quand elle est langue officielle ou langue de travail, l’organisation aura beau faire tout ce qu’on fait depuis plusieurs années», comme former des dizaines de milliers de fonctionnaires, diplomates et négociateurs, ce sera «inutile» en fin de compte. «Le combat qu’on mène, ce n’est pas contre l’anglais», rappelle M. Duhaime. «Mais l’anglais ne doit pas devenir la seule langue, au détriment de toutes les autres qui font la richesse du monde». Les États membres de la Francophonie, «qui ont quand même des obligations», doivent être davantage engagés.
 
Et, «s’inspirer peut être du modèle québécois», ajoute celui qui est originaire de Trois-Rivières. Devraient-ils s’inspirer de la Loi 101? «Le Québec partage son expertise», en matière de politique linguistique. Cela dit, le contexte n’est pas le même, explique M. Duhaime, puisque le français n’est pas la langue maternelle de plusieurs pays de l’OIF.
 
Le Québec en modèle
L’OIF est «la seule organisation internationale» où le Québec a «un statut de gouvernement  participant», souligne-t-il. «Le Québec a toujours été au cœur de l’évolution de cette organisation.» Par exemple, dans les années 70, feu Jean-Marc Léger père fût l’un des fondateurs de l’organisation regroupant les pays francophones. Jean-Louis Roy a été secrétaire général de l’Agence intergouvernementale de la francophonie dans les années 90.
 
Plusieurs initiatives, «qui sont maintenant des programmes phares de l’organisation», ont été inspirées d’idées québécoises. Pour illustrer ses propos, l’administrateur de l’OIF, mentionne, entre autres, les Centres de lecture et d’animation culturelle ou le Réseau des compétences électorales francophones lancé par le Directeur général des élections du Québec et l’OIF.
 
L’avenir réside dans l’Afrique  
Selon les statistiques de l’OIF, en 2010, la moitié des 220 millions $ de locuteurs français dans le monde vivaient en Afrique et au Moyen-Orient et environ 40 % d’entre eux, résidaient en Europe. L’Amérique en comptait 7 %. L’Asie et en Océanie, c’était 1 %. L’organisation prévoit qu’il y aura 700 millions de francophones en 2050, dont 85 % sur le continent africain. «La langue française continuerait à être l’une des grandes langues de communication mondiale», commente M. Duhaime.
 
«L’avenir démographique de la francophonie reposera de plus en plus sur l’Afrique, et sera donc lié à des contextes nationaux davantage multilingues», peut-on lire sur le site internet de l’OIF. «Cette forte poussée démographique du continent africain, qui va devenir dans 30 ans le continent le plus jeune» est porteuse d’espoir pour la langue française, fait valoir le numéro deux de l’organisation. «Mais cela est tout conditionnel au développement de l’Afrique», en matière d’éducation et de scolarisation, ce qui «est loin d’être un objectif atteint».
 
Mais encore, «le français n’est pas leur langue maternelle» de ces pays. C’est plutôt une langue «qui a été choisie au lendemain de la période coloniale comme langue d’unité». Et «s’ils ne voient pas que cette langue crée de l’emploi, crée de la richesse» ou s’ils considèrent qu’elle «n’est plus une grande langue internationale», certains pays pourraient faire un choix différent, avec des conséquences sur le nombre de locuteurs français à l’avenir.
 
Médias et nouvelles technologies
L’accès aux nouvelles technologies sur le continent africain et au réseau internet est-il perçu comme une menace pour la langue de Molière? «Nous on pense que c’est une chance», dit M. Duhaime. «Le français est maintenant la 4e langue sur les réseaux sociaux. Donc, il y a une opportunité à saisir, que certains jeunes ont déjà pris.»
 
Les États ne doivent pas à eux seuls assumer la responsabilité de maintenir la langue française bien vivante. Les médias, par exemple, ont aussi un rôle à jouer, selon notre interlocuteur. Si les médias francophones sont affaiblis c’est la diversité des expressions qui est en danger, c’est le pluralisme qui est en péril, c’est la langue française comme langue de communication internationale qui est menacée.», a-t-il dit durant un discours prononcé à Montréal ce mois-ci.